lundi 21 janvier 2008

DANS UN PAYS D'ARBRES ROUGES


Je m’étais égaré dans un pays d’arbres rouges, peut-être des cornouillers sanguins. Je n’avais aucune mémoire du chemin pris pour arriver jusque là. Mes traces venaient des bois... Une route déserte menait à des montagnes bleues, mais dans l’autre direction elle allait jusqu’aux murs blancs d’une ville inconnue. J’avais un sac.

Dans le sac, je découvris une collection de graines et des racines diverses, des gros tubercules, des herbes séchées… Je trouvai aussi un carnet de notes (écrites dans une langue que j’ignorais) ainsi qu’une serfouette et des tubes, des petites sacoches remplies de terre… et un bol, et une cuillère. À ma ceinture, je portais un long couteau graissé. J’aurais aimé avoir un chapeau...

Il faisait froid, mais j’étais chaudement vêtu et bien chaussé de bottes en caoutchouc qui montaient sur la jambe jusqu’au genou, dessus des bonnes chaussettes en grosse laine. Un chien m’accompagnait. Son pelage doré (comme mes chaussettes), son museau noir, sa prunelle brune me rassuraient d’autant que la bête semblait me connaître, mais je ne savais pas son nom. Toto ? Le chien aboya de joie, et cela me suffit.

Et puis cette pensée étrange me vint que le sujet, le moi, la première personne, le « je » n’est qu’un contenant qui se prend pour le contenu. On dit parfois que tout ce qui est en bas, sur terre, est semblable ou identique à tout ce qui est haut, au ciel, mais j’eus subitement cette révélation que tout ce qui est à l’intérieur de soi est semblable ou identique à tout ce qui est à l’extérieur.

Le « je », le soi, l'âme ! n’est qu’une proposition au service de l’illusion qui sépare le monde d'une partie de lui-même. Cette idée, la notion de séparation, de mur, elle m’inspira la décision d’aller en direction des murs blancs de la ville inconnue.

Toto jappa un coup, et puis il prit les devants. Une douce neige commença à tomber. Je regrettai de nouveau le chapeau qui me manquait.

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[Image : Le bâton de pouvoir de la circonférence de l'être par reading_is_dangerous]

samedi 19 janvier 2008

HUIT COEURS PAR IDEE


Tandis qu’il se prenait les pieds en écrivant des textes sans queue ni tête, il oubliait ce qu’il avait à dire, ce qu’il avait voulu dire, qui lui avait paru urgent de dire ou de crier par écrit. « Je n’ai plus le souvenir de ce que je voulais dire, » pensait-il, mais il n’avait pas perdu la mémoire de la triste conclusion tirée de ses efforts passés : Ce qu’il avait à dire, ce qu’il avait eu à dire n’avait jamais intéressé personne d’autre que lui.

Il aurait pu continuer pour lui-même …fuyant le sens des mots.

« Je suis un champs de patates, » pensait-il. Les vers de mes pensées dévorent mes racines, mes tubercules, et ces ondulations affamées (les vers) s’attaquent aussi aux feuillages et aux fleurs de mes plantes chéries. Il me faudrait une armée de fourmis rien que pour me protéger des vers – à huit cœurs par ver, il faut y aller avec force, mais il y a de quoi manger. Huit cœurs par ver, et donc huit cœurs par idée.

Pour embrasser le monde, la réalité triste et cruelle, il faut avoir un cœur de plomb, sinon savoir se réfugier dans le non-sens ou pratiquer l’apnée continuelle et nager hors de l’eau, les bras battants comme ceux des pauvres gens qui sautent des immeubles en feu. Il écrit donc n’importe quoi pour ne pas avoir à penser à ce qu’il faudrait dire, mais qui n’intéresse plus personne, car tous ont compris que rien ne sert plus qu’à rien.

Ses histoires à suivre? Elles mènent à des impasses. « Essayons encore un peu, » résolut-il. Peut-être qu’avec un chant de labour...

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[Image : Sa tendre muse et lui par reading_is_dangerous]

LE SOLEIL MOU DU BEURRE


« Je vous apporte le soleil mou du beurre, » dit Berrillons d’une voix chargée de plaintes inarticulées, mais néanmoins audibles. Il disait, « je », mais on entendait bien qu’il n’était pas convaincu de s’appartenir à lui-même. Il y avait du « je est un autre » là-dedans, du « pourquoi moi ? », du « qui suis-je ? », et même du « qui es-tu ? ».

En fait, Berrillons prononçait à peine le « je », car son « je vous » laissait plutôt entendre le son « j’vous ». Berrillons semblait aussi se demander (ou demander à d’autres) « pourquoi vous et moi ? » voire « pourquoi moi, pour vous ? » ou « moi, car vous » ou « moi avec vous » ou simplement « pourquoi moi-vous ? ».

Considérés ensemble, les trois premiers mots dits par Berrillons, « je vous apporte », ces mots pesaient lourds sur le reste de la phrase (que nous examinerons dans un instant). « Je » comptait une plainte. « Vous » comptait une plainte. « Je vous » (« j’vous ») comptait encore une plainte. « Je vous apporte » semblait déjà odieux, lourd, lourd, mais je précise qu’outre les mots eux-mêmes, et malgré que Berrillons fût très laid, c’était bel et bien cela qu’il laissait entendre sans le dire qui faisait le plus de mal.

Il faut préciser qu’il parlait vite et l’auditeur intéressé (en plus du beurre) par la charge négative de cette simple phrase, « je vous apporte le soleil mou du beurre », et bien ! L’auditeur n’avait pas beaucoup de temps pour enregistrer correctement la totalité des plaintes non prononcées, mais entendues avec toutes leurs nuances, entendues à cause de ces nuances – le cerveau les saisissait à plein bras comme le lutteur gréco-romain son adversaire.

Prenons donc le « soleil mou », mais pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du « soleil mou du beurre », du beurre en général : Pas le beurre « Président », pas le beurre retrouvé (qu’on avait perdu – mais c’est une autre histoire), pas le beurre « Intérêt » ni le beurre raisonnable. Le soleil mou devait briller d’une lumière molle et répandant une chaleur molle, cela en vertu des lois molles d’une physique molle et étudiée par les scientifiques mous d’une planète molle parmi une ribambelle de mondes mous et en révolution sur des orbites molles.

Cela semblait horrible qu’on puisse imaginer autant de mollesse, pourtant « le soleil mou du beurre » comprenait indéniablement sa part de joie. Dans le beurre il y a la vache, et dans la vache il y a l’herbe, et dans celle-ci le soleil, du soleil mou—tant mieux ! Ainsi on peut se préparer des tartines « de l’astre du jour. »

« Je vous apporte le soleil mou du beurre. » Si Berrillons l’avait dit autrement, mon commentaire n’eut jamais vu le jour. Soit dit en passant, on enveloppe chez nous le beurre dans du papier bleu qui ne déteint pas.

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[Image: Commerce du beurre au détail (détail) par reading_is_dangerous]

lundi 14 janvier 2008

L'ORANGE DE FAIM DU MONDE



Une orange dans la main, une orange dans la tête, une orange haute ayant quitté un oranger philosophique qui enseignait sur une île lointaine, au milieu d’un océan lointain, à une époque—cela va vous surprendre—au goût épicé, dans un univers lointain et si différent du nôtre qu’il n’y avait rien d’autre en son sein que cette orange pour ressembler à quelque chose, chez nous.

Cet oranger, l’île lointaine et l’océan lointain ne ressemblent pas à ceux d’ici, mais cela je l’affirme sans trop le savoir, vite, parce que c’est qu’il me semble, mais je ne suis pas allé examiner ni l’arbre, ni l’île, ni l’océan. D’ailleurs, il n’est pas certain que je saurais où les trouver, à quelle époque épicée, car il y en a plus d’une.

Je pourrais manger maintenant le fruit, son écorce, ses pépins, ainsi que tout corps découvert entre les quartiers de l’orange—un moteur miniature, un clavecin nain, un ragoût mijotant, une petite épaule, une barquette, qui sait? Mais je préfère encore tenir mon trésor à la main en rêvant d’un oranger étrange: il pousse sur une île lointaine, au milieu d’un océan lointain, à une époque philosophique, dans un univers épicé.

Dans l’armoire (n’ai-je jamais parlé d’elle?) il y a aussi du pain, du jambon, du thé, du fromage, une bouteille de vin, des carottes, mais ces aliments, surtout le vin ! qui pourraient réjouir mon palais et me remplir la panse, ils viennent d’ailleurs : d’un univers miniature, d’une île naine, d’un océan mijotant, d’une époque—cela va vous surprendre—d’une époque d’épaule, d’une barquette en bois d’oranger qui ressemble étrangement à mon armoire.

Je ne peux rien manger depuis mille ans. Je meurs de faim.

Et c’est donc un estomac vide dans le creux de mon ventre fruité, un estomac dans ma tête, qui poussa à une époque fromagée, au milieu d’un clavecin lointain, sur une île—cela va vous surprendre—qui rêvait d’un trésor qu’elle tenait pourtant à la main : la paix du monde.

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[Image: L’armoire à plates invitations par reading_is_dangerous]

samedi 12 janvier 2008

LA CAGE DE LA VIE



Un grand secret brille au ciel : le soleil générateur de vie. Celle-ci construit une cage digne de louanges puisque sans ses barreaux nous ne serions même pas une effaçure du néant.

Au d
ébut tout allait bien. La mamelle du monde nous nourrissait. Un air pur nous servait de souffle. Hélas ! Vint un début d’été qui nous montra la vérité nue, et nous portons depuis cette époque nos visages comme des masques afin de cacher à l’esprit—le nôtre—sa nature véritable. Si nous avions aimé à contempler cette nature avec simplicité, nous aurions pu continuer à aller par-ci, par-là, embrassant le sol, buvant sans l’épuiser le mystère de la Nuit, donnant le jour à des enfants de toutes couleurs.

Plus tard nous avons écrit des livres angoissés et qu’on ferait mieux de ne pas lire, car l’Univers n’a ni Clef ni Porte, et c
est une quête vaine que d’en chercher le seuil. On aurait pu sourire aux fleurs pour leur ravir un peu d’amour riant… ça nous aurait peut-être consolé de notre bêtise. Mais... Mais... Mais...

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Des pierres m’ont parlé. Leurs dures paroles ont séché mes larmes d
enfant ayant grandi trop vite, mais l’amertume trouble encore mon âme, car je vois que l'humanité contemple sans sourciller le projet d’une société privée de la pensée.

On aura des mots à hurler, des mots aux sens rigides, les mots d’une vision effrayante, mais qui ressemblera suffisamment à l’homme pour que sa vanité la lui fasse paraître rassurante, et des idiots savants et d’autres esclaves donneront forme à un nouveau cauchemar.

On brisera les barreaux de l
unique cage véritable, mais elle est digne de louanges : la cage de la vie.

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[Image:
Pensée privée par reading_is_dangerous]



L'inspiration m'est venue alors que je lisais ce texte d'Ariaga, La différence ; d'autres influences ont aussi joué un rôle.

vendredi 11 janvier 2008

L'ESPOIR GENERAL



L’espoir général m’a quitté. Je parle d’espoir à tout faire, à tout essayer. Il m’a quitté en espérant que je saurais bien vivre sans lui. Ah! Ah! Ah!

L’espoir m’est sortit du ventre et s’en est allé me laissant seul, mais ensuite une vague d’euphorie me submergea, inattendue, mais bienvenue. « C'est pour de bon, » affirma la vague, et je me sentis mieux qu’auparavant. Sans espoir on sait exactement à quoi s’attendre et où on va.

Des êtres immenses dansent invisiblement entre les étoiles, dans l’obscurité la plus froide, mais leur propre lointeur les amuse. L’éloignement, la distance, le temps? l’indifférence qui les séparent les uns des autres leur interdit toute espérance... Et cela, cette lointitude leur convient. Comment le sais-je? C’est que l’espoir général m’ayant quitté, je me suis mis à valser avec une insouciance si puissante qu’elle échappe, et moi avec elle, à la gravité de toute situation.

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[Image : Lointitude par reading_is_dangerous]

mercredi 9 janvier 2008

C’EST UNE LAME NOIRE



Il arrive toujours ce moment quand le silence lâche prise, quand l’épuisement lui ouvre la main, lui crève les doigts, et c’est alors la chute. Le mutisme emporte avec lui son mystère, ses murs, son obstination, son front pauvre, et toute cette chair de silence va s’écraser plus bas. La catastrophe jette des mots dans toutes les directions, au point qu’on retrouve parfois des mots collés au plafond.

C’est une lame noire, une nuit pendant laquelle j’ai pris ton visage pour le donner à une autre. J’ai bien fait. Ton visage est maintenant heureux, souriant, détendu.

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[Image: L’écorcheur à silence par reading_is_dangerous]