samedi 19 janvier 2008

LE SOLEIL MOU DU BEURRE


« Je vous apporte le soleil mou du beurre, » dit Berrillons d’une voix chargée de plaintes inarticulées, mais néanmoins audibles. Il disait, « je », mais on entendait bien qu’il n’était pas convaincu de s’appartenir à lui-même. Il y avait du « je est un autre » là-dedans, du « pourquoi moi ? », du « qui suis-je ? », et même du « qui es-tu ? ».

En fait, Berrillons prononçait à peine le « je », car son « je vous » laissait plutôt entendre le son « j’vous ». Berrillons semblait aussi se demander (ou demander à d’autres) « pourquoi vous et moi ? » voire « pourquoi moi, pour vous ? » ou « moi, car vous » ou « moi avec vous » ou simplement « pourquoi moi-vous ? ».

Considérés ensemble, les trois premiers mots dits par Berrillons, « je vous apporte », ces mots pesaient lourds sur le reste de la phrase (que nous examinerons dans un instant). « Je » comptait une plainte. « Vous » comptait une plainte. « Je vous » (« j’vous ») comptait encore une plainte. « Je vous apporte » semblait déjà odieux, lourd, lourd, mais je précise qu’outre les mots eux-mêmes, et malgré que Berrillons fût très laid, c’était bel et bien cela qu’il laissait entendre sans le dire qui faisait le plus de mal.

Il faut préciser qu’il parlait vite et l’auditeur intéressé (en plus du beurre) par la charge négative de cette simple phrase, « je vous apporte le soleil mou du beurre », et bien ! L’auditeur n’avait pas beaucoup de temps pour enregistrer correctement la totalité des plaintes non prononcées, mais entendues avec toutes leurs nuances, entendues à cause de ces nuances – le cerveau les saisissait à plein bras comme le lutteur gréco-romain son adversaire.

Prenons donc le « soleil mou », mais pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du « soleil mou du beurre », du beurre en général : Pas le beurre « Président », pas le beurre retrouvé (qu’on avait perdu – mais c’est une autre histoire), pas le beurre « Intérêt » ni le beurre raisonnable. Le soleil mou devait briller d’une lumière molle et répandant une chaleur molle, cela en vertu des lois molles d’une physique molle et étudiée par les scientifiques mous d’une planète molle parmi une ribambelle de mondes mous et en révolution sur des orbites molles.

Cela semblait horrible qu’on puisse imaginer autant de mollesse, pourtant « le soleil mou du beurre » comprenait indéniablement sa part de joie. Dans le beurre il y a la vache, et dans la vache il y a l’herbe, et dans celle-ci le soleil, du soleil mou—tant mieux ! Ainsi on peut se préparer des tartines « de l’astre du jour. »

« Je vous apporte le soleil mou du beurre. » Si Berrillons l’avait dit autrement, mon commentaire n’eut jamais vu le jour. Soit dit en passant, on enveloppe chez nous le beurre dans du papier bleu qui ne déteint pas.

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[Image: Commerce du beurre au détail (détail) par reading_is_dangerous]

4 commentaires:

  1. Le soleil mou du beurre déteint sur mon humeur parfois bleu

    Un grand sourire solide comme la vache qui fait le beurre parfois mou, parfois un soleil mou du beurre mou, vous salue!

    Un texte solide, doux comme l'astre du jour!

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Du beurre à dealer, j'en ris comme de l'herbe que je ne fume pas.

    Mais peux être que d'autres passants seraient intéressés de connaitre les joie de la glisse dans l'herbe fraiche odorante.

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  4. Encore une de tes facettes. Je repars un peu en arrière dans tes textes car j'ai décidé de faire ma révolution et de ne plus perdre de temps sur les blogs sauf si ils m'intéressent beaucoup. du coup je retrouve la joie de vivre et de lire avec ce "temps retrouvé". Que pense tu de la double personnalité de Jung. Je crois qu'il rassure tous ceux qui se sentent multiples...

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