lundi 22 octobre 2007

LE PAYS A ETAGES


C’est un pays à étages. On s’y déplace beaucoup à l’aide d’échelles, certaines qui sont fixes, d’autres légères et portatives. Il y en a tellement que les métiers de constructeur d’échelles et de réparateur d’échelles ont là-bas leurs noms : échellonniers et réchellonniers, mais il y a bien sûr des escaliers et des tunnels en pente douce, et des ascenseurs, mais l’usage de ceux-ci est reservé d’habitude aux chefs du pays, tandis qu’il est interdit de grimper, et qu’on punit les grimpeurs par l’amputation d’un doigt ou d’un orteil selon que le coupable est surpris à monter ou à descendre, mais s’il s’avère impossible d’établir la direction du crime, alors on coupe les deux, un doigt et un orteil. Grimper de côté, si l’on peut dire, est cependant permis.

Dans ce pays, on raconte la légende d’un merveilleux grimpeur, un nommé Propre, récidiviste comme pas un, à qui on enleva tous ses doigts et ses doigts de pieds, qui continua néanmoins à gravir un étage après l’autre en s’aidant seulement de ses moignons, d’autant qu’on ne savait plus comment le punir ; c’est pourquoi on le laissait faire. Son projet, le rêve de Propre, était d’accéder au dernier étage pour voir ce qu’on nomme le Plafond, cette surface d’où suintent (disent les prêtres) toutes les saintes eaux qui coulent dans leur pays riche en cascades. Un ascenseur existe qui monte jusqu’en haut, on prétend même qu’il descend également à la Cave, mais on ne sait plus qui en a la clef ou cette personne qui la tient refuse de la rendre.

L’habile Propre ne buvait jamais d’alcool, pourtant on découvrit un jour son corps brisé qui puait l’odeur du vin de clou ; la légende affirme que c’est un gardien des étages supérieurs qui l’aurait saoûlé par ordre du grand prêtre de l’époque, Personnel IV, lequel obéissait lui-même, on s’en doute, à quelque mystérieuse et implacable raison qui imposait qu’on rappelât à la population qu’il ne faut pas monter trop haut, sous peine de mort voire pire : la dépouille du pauvre Propre fut en effet lancée en bas, jetée à l’ignoble faim des charognards qui rampent en bas.

Des fanatiques et passionnés admirateurs du malheureux grimpeur descendirent pour rescaper le mort, dit-on, mais ils ne purent rapporter que le moignon écrasé d’une main, des os qui furent transformés en reliques conservées jalousement par des grimpeurs secrets, et c’est ainsi que s’est développé le culte de Propre. Dans certains milieux, on lui adresse ses prières en l’appellant Saint-Propre, mais c’est mal vu que de prononcer son nom à voix haute, par exemple, devant un échellonnier ou un réchellonnier.

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[Image : Le pays à étages par reading_is_dangerous]

3 commentaires:

  1. ne faudrait-il pas retirer les échelles ?

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  2. C'est en bas de l'échelle avec des barreaux à perte de vue que l'on reconnaît un prisonnier.

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  3. Clean climbed (even if it was forbidden to do so)

    and he died eventually
    (maybe murdered?)

    and a cult was founded after
    his death.

    I would like to think that
    Clean was brave enough to defy
    the law (which maybe was unreasonable), and that he was
    deemed as a hero by rebels like
    him.

    There is a "Clean" in each one of us. Maybe. And heroes too.

    ==
    Your picture is as enigmatic
    as you.

    Thank you for this post.

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