c’était la nuit. Il y avait une guerre, mais une guerre du genre qui
exigeait qu’on s’entende à l’avance entre les parties pour que
chaque bataille respectasse des critères esthétiques déterminés par
les goûts du jour, lesquels variaient en fonction du
résultat des conflits précédents. Les victoires, les défaites n’avaient pourtant pas de
réelle importance puisque l’Industrie du Spectacle et de l’
Armement (l’ISA) décidait de presque tout. “C’est
mieux ainsi” expliquait-on avec une belle simplicité. Mais le
hasard offrait parfois aux héros quelques occasions magnifiques. . .
cette nuit-là, les forteresses volantes du
prêtre-général Pazo Barthazar attaquaient la ville de
Myagara Falls qui avait accepté de se défendre avec des
fusils de chasse et rien d’autre. En
contrepartie, l’ISA avait décidé que les avions de Barthazar ne pourraient pas
dépasser en nombre
la date de leur attaque initiale. Cette
date fit donc l’objet de spéculation. On se
douta que Barthazar n’attendrait pas jusqu’au trente et
un janvier ou jusqu’au trente et un mars, ce qui lui aurait accordé le
droit de
guerroyer avec un nombre maximal d’appareils mais lui aurait retiré le
privilège de la surprise. On
supposa qu’il lancerait son attaque le trente ou le vingt-neuf ou le
vingt-huit ou même le vingt-sept ou le vingt-six
or Barthazar, qui était sensible au charme des nombres, avait
séduit une jeune femme de vingt-deux ans, laquelle lui fit remarquer
que leur union remontait au vingt-trois décembre et que son anniversaire à
elle, c’était le vingt-trois mars. “Tant de coincidences sont un
signe” pensa le général dont la bonne
humeur et l’optimisme se trouvèrent renforcés par le
rapport d’un espion revenu de Myagara Falls, selon qui “. . .les
forces myagarannes comptent vingt mille fusils
au plus; l’état de
santé de Bob Larmet, leur chef, semble mauvais. Son visage est dévoré par
des filaments”
le vingt-trois mars à minuit onze, le prêtre-général ordonna à ses
forces d’attaquer. Vingt-trois avions décollèrent. Il s’agissait de vieux
machins récupérés des dépotoires de l’ancienne armée américaine, des B-52
équipés de bombes réglées pour exploser après une chute libre de cinq cent
mètres, ce qui devait forcer les pilotes à voler à portée de tir des fusils de chasse
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[Image:
Portrait du pr.-gén. Pazo Barthazar par reading_is_dangerous]