jeudi 30 août 2012

LE DEDANS DANS LE DEHORS



par la fenêtre ouverte, démon venu chez toi
offrant pouvoirs magiques en proportion
de l'importance de la partie du corps que tu vas sacrifier :
tu dis ton coeur, tu donnes ton coeur

démon du Dedans
démon du Dehors
de la Cloison, de la Membrane
démon de la peau de ton âme

démon charbon pour te consumer
esprit anthracite tiré des profondeurs de ton être
brûle aussi vrai que l'angoisse
brûle aussi vrai que tes mensonges

tu dis : Je suis ailleurs
démon dit : Mon homme, t'es bien ici
c'est toi la fenêtre, le Dedans dans le Dehors
des mots, démon, mes mots, mon démon

démon tenant la flamme du poignard
démon récitant paroles magiques
accompagnant l'accomplissement dans l'Art
voici ton coeur sacrifié ! et tout ce que ça implique



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Photo : Battre la peur à son jeu
-dans la série "vu à Paris"



mardi 28 août 2012

FAISONS PREUVE DE COURAGE !


tu ne souviens pas de l'avoir invité
mais ce soir, un démon
entrant chez toi par une fenêtre ouverte
te propose un marché surprenant

contrairement à qu'on imagine souvent
il ne s'agit pas de vendre son âme
mais de sacrifier une partie du corps
en échange de pouvoirs magiques

un cil, le bout d'un ongle, tes cheveux
le petit doigt, un lobe d'oreille
les pouvoirs obtenus sont en proportion
de l'importance de la partie sacrifiée

tu songes à refuser, mais l'esprit malin
devinant ton hésitation, t'encourage à choisir
en menaçant de le faire pour toi
car il ne doit pas repartir les mains vides

"puisque c'est comme ça," penses-tu à voix haute
"faisons preuve de courage !"
et, te découvrant la poitrine, tu lances ces mots :
"Je sacrifie le coeur !"



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Photo : Pouvoirs magiques
Oeuvre d'un auteur (qui m'est) inconnu, vue à Paris


A QUOI BON NOUVELLE SAGESSE ?


ce matin, en rêve : Une nuit
aux étoiles comme des bougies
des êtres de sapience descendant du ciel
venaient sur Terre nous éclairer

l'un d'eux posant son doigt sur moi
me dit: "Vois comme je vois !"
et lors que me tournant vers toi
je vis ton regard étonné

comment ai-je pu laisser faire
qu'un ange ou monstre inconnu
change la lumière de mes yeux
déjà clairs de vérité ?

un être venu du ciel s'approchant de toi
tu t'enfuis en criant pour moi :
"A quoi bon nouvelle sagesse ?
je t'aimais tant, tu m'aimais tant..."

seul dans la nuit de la nuit
voyant comme l'ange ou le monstre voit
mon coeur désormais pur et froid
en aveugle rêve de ton amour perdu



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Photo : Mur étoilé

dimanche 26 août 2012

UNE BÊTE ESSAYANT D'ENTRER CHEZ MOI


au-dessus de la porte de la terrasse, une fenêtre
fermée par un carreau de verre
lui-même protégé par trois barreaux de fer
je suis dehors, mais ça se passe en rêve, ce matin

un chat roux escalade la porte, très fort
visiblement intéressé par la fenêtre et par l'intérieur
de ma demeure onirique
tout ça me semble assez convainquant

maintenant au sommet de la porte, l'animal lève une patte
contre le verre, sur la partie de gauche
déterminée par celui des trois barreaux de ce côté
puis il continue, un coup de pa-patte par section

rien de très poétique dans tout ça
mais je l'écris pour le partager
chat, porte, fenêtre, verre, barreau, pa-patte
une bête essayant d'entrer chez moi

est-ce une révélation ? toute la journée durant
je me comporte en malotru
sauvage, montrant les crocs
frustré, peut-être, de ne pas savoir c'est où : Chez moi



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Photo : Au pays des rêves

samedi 25 août 2012

MA CHAISE EN TÊTE


dans mon inventaire imaginaire, une chaise
pour le repos temporaire de l'esprit
quand le corps saute
quand le sol tressaute

sur ma chaise imaginaire pensant à la vérité
je vois la lumière comme une seule chose
tout l'univers comme l'ultime particule élémentaire
des électrons de conscience

sur ma chaise imaginaire songeant enfin à mes jambes
je pose mes orteils sur des histoires de poussière
une variable inconnue me chatouille la plante du pied
mais j'ai le talon sûr du reste

ma chaise en tête partout où je vais
un siège toujours libre pour le coeur en émoi
un meuble à mon nom pour m'appuyer le dos
une place excellente pour mon excellent séant

il faisait encore froid hier
massacres d'injustice et démence ordinaire
finalement j'ai démoli ma chaise à coups de hache imaginaire
réchauffé mes os à la chaleur d'une flamme folle



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Photo : Vraie chaise

vendredi 24 août 2012

LA CUISINIÈRE S'EN VA


vous comprenez, dis-je
une équipe de trois quatre personnes
peut difficilement justifier
le maintien de votre emploi de cuisinière

je comprends parfaitement, dit-elle
posant sa main sur mon bras
voyant que je cherche encore des mots
pour redire ce que j'ai dit

mais la santé de mon pauvre mari
la prise en charge des soins médicaux
c'est la raison principale pourquoi j’espérais
garder mon emploi jusqu’à la fin de l'an

je vous donnerai un mois de plus, dis-je
ce qui en fera deux avec le mois de rupture de contrat
je suis franchement désolé, excusez-moi 
la cuisinière s'en va

par la fenêtre de mon bureau on me lance
une invitation pour un meeting politique
ils sont trois jeunes en t-shirt bleu, je leur demande :
Y aura-t-il un barbecue ?



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Photo : La fenêtre de mon bureau

LA NUIT JE ME TROMPE DE JOUR


ce matin dormant encore
je nous crus samedi plutôt que vendredi
puis ça me revint : Ce soir
rendez-vous avec le vice-ministre

sous la douche je reste endormi
dans la serviette de bain je reste endormi
enfilant un jeans je reste endormi
j'ai une nouvelle tunique

arrachant l’étiquette du vêtement neuf
je fais un trou à peine visible dans le tissu
c'est, aujourd'hui
mon premier accomplissement

l'autre jour chaussant mes nouvelles tennis
j'ai poussé trop fort
déchirant la toile du pied gauche
un tout petit peu

c'est l'histoire de ma vie
la nuit je me trompe de jour
au matin je reste endormi
déchirures, petits trous, rendez-vous



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Photo : Un flou léger



et, Le poinçonneur des Lilas 



jeudi 23 août 2012

DANS CE PAYS DE BOULETTES


en fin de journée, une grande faim du ventre
me pousse vers un café servant des steaks
comme on en trouve difficilement ailleurs
dans ce pays de boulettes

le morceau présenté pas trop cuit
avec beaucoup de grains de poivre
je marche donc à vive allure
or mon pied glisse sur quelque chose

c'est une peau de banane
manquant de me tuer
mais qui provoque mon sourire
par sa pureté comique

arrivant au café, je commande mon steak
saignant, mais on me le sert à point
je le mange pourtant, moins
les deux bouts donnés à un chat

une guêpe s'invite à ma table
la Lune passe derrière un clocher
on dit que le téléphérique est sans danger
après le repas, je reste longtemps assis



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Photo : Au-dessus des bananes

mercredi 22 août 2012

SAUF LA VIEILLE REINE


dans l'ex-royaume, une dame inquiète
craignant les élections prochaines
me récitait aujourd'hui la liste des troubles possibles
dont on entend parler en ondes

par les rues engorgées de voitures
elle se rendait à la banque où l'attendait déjà
une grande somme en devises bien comptées
par la machine ingénieusement fabriquée à cette fin

je l'accompagnais quand cette pensée me vint :
Processus électoral et billets de banque
sont les habits démodés du Pouvoir, mais encore utiles
tels les atours effrayants d'une vieille reine

par les démocraties dégorgeant leurs multinationales
nous allons au corporatisme total qui gère déjà
des grandes masses de gens bien comptées
par des machines insidieusement destinées à cette fin

je crains qu'il ne vienne bientôt ce jour quand le Pouvoir nu
se montrera finalement en ondes, sans inquiétude
tout le monde sera mort, même les vivants
sauf la vieille reine


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Photo : Me rendant à la banque

mardi 21 août 2012

LA PENSÉE ENGOUFFRÉE PAR L'ABSENCE


derrière le genou
une pièce de monnaie collée à la peau
frappée de l'effigie d'un chef interdit
qui ne vaut plus rien

dans l'orteil gonflé
du sang indécis comme un saumon perdu
incapable de retrouver
la source du coeur

au fond des sinus
c'est une pulsation continuelle
un vibration, un lien, une corde
qui entrave ta libération ultime

à la place du foie, mon ami
c'est une lame de nerfs
affilée pour découper ta vie
une tranche après l'autre

là où nul ne tend l'oreille
la chute de l'arbre en silence
la pensée engouffrée par l'absence
le noeud défait de l'être



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Photo : Philosophie

lundi 20 août 2012

LES ROQUETTES DU COLONEL



il travailla dans une usine secrète
fabriquant des roquettes
testant je ne sais ni quoi ni comment
jusqu’à en perdre l’ouïe

un colonel oublié en province
parlant beaucoup malgré sa surdité
ainsi rattrape des années de silence forcé
son épouse lui reproche tendrement : "Tu parles trop !"

elle ne se lève plus du lit
depuis que ses jambes refusent de la porter
"elle exagère certainement,"
me confie sans méchanceté son mari

aujourd'hui me trouvant chez eux
j'avais du mal à respirer
tant l'odeur était forte qui émanait
des murs pourrissants de la salle de bain

"on va vous opérer un oeil, si vous le voulez bien,"
dis-je au colonel, songeant
que le destin aurait pu faire les choses autrement
et ses roquettes me tomber sur la tête



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Photo : Tuyau neuf, murs vieux

L'OEIL A UN POUR CENT



me regardant elle dit :
"Vous êtes bel homme,
mais il faut vous raser
car la barbe vous vieillit"

elle a quatre-vingt neuf ans
son oeil gauche ne voit rien
son oeil droit, il lui reste "un pour cent"
nous venons de faire connaissance

"vous avez l'air d'avoir soixante-dix ans,"
dit-elle, "mais je crois bien
que vous en avez seulement quarante-cinq" - j'ai 44 ans
"Il voit pas mal, votre oeil à un pour cent..."

"si j’étais plus jeune, je saurais trouver un moyen
pour vous enlever cette horrible barbe..."
je lui propose l’opération pour la cataracte
"à quoi bon, si j'ai le..." - elle craint une autre maladie

"pour voir encore la vie..." dis-je
"ils sont six m'attendant au cimetière..."
"comment appelez-vous le chat ?"
"comme on m'appelle : Shoura"


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Photo: A. (de son vrai nom)

et Shoura, l'autre

SAUVER LA PETITE QUI LOUCHE


voisine tousse, tousse
fait couler l'eau en bas de ma fenêtre
lave ses assiettes dans la cour en gueulant, gueulant
injuriant l'innocente fillette vivant là, qui louche

injuriant sa mère, sa fille
injuriant les Vieux du Cosmos Tout Puissant
injuriant mes oreilles, tympans, les assiettes
injuriant l'eau coulante en sa personne

l'eau du corps et de l'esprit
la lumière du ciel matinal traversant mes paupières
il est huit heures dix, lundi matin
j'ai cette fausse impression de commencement

j'ai le vrai goût de la nuit dans mes joues
mes narines dans le champs des yeux
maintenant la porte d'en bas grince et grince
quelqu'un s'en va

tableau poème achevé en dix minutes ! Hourra !
mais je voudrais savoir peindre plus vite
tromper le temps toussant, toussant
laver les injures, sauver la petite qui louche



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Photo : L'eau du corps et de l'esprit

dimanche 19 août 2012

ALLANT AU NORD QUAND ON TOURNE AU SUD


petit enfant, il passe ses nuits
la tête au pied du lit
ou couché sur le plancher
défiant les premières règles établies

l'enfance passe, il grandit solitaire
allant au Nord quand on tourne au Sud
décourageant avec des cris farouches
quiconque marche dans ses pas

le jour vient qui nécessite un peu de sérieux
mais l'insouciant se teint le scalp en bleu
se chausse aussi de cette couleur de mer
puis s'en va en quête de chimères

ses pupilles sondent le néant
son coeur palpite hors du temps
son âme s'égare dans le vide
ses dents se fendent, son front se ride

ce matin, un fou seul sur un lit
écoute le passage du sang dans ses veines
il a l'esprit vacant, l'estomac creux
du nouveau-né



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Photo : L'esprit vacant, l'estomac creux

vendredi 17 août 2012

J'ATTAQUERAI LA CARAVANE


vieille ville, ancien comptoir
station balnéaire préférée de l'ex-Empire
ruinée par la guerre
vingt ans plus tard : Des décombres encore !

dans le bâtiment décrépi
entrent deux hommes :
Un courtaud au teint olivâtre, en chemise blanche
un maigre aux longs bras, en tunique noire

rendez-vous avec un administrateur local
grand bedonnant en chemise rose
chargé des approvisionnements médicaux
pour tout le pays

scène guère poétique :
Trois hommes dans une petite pièce
discutant des complications pour l'importation
des masques, réactifs, anti-tuberculeux...

bonne opportunité pour un prince-marchand !
je ferai tout ce qu'il faut, dit le bedonnant en rose
je vous aiderai, dit le courtaud en blanc
j'attaquerai la caravane, médita le maigre en noir



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Photo : Bandits de grand chemin

LE SONGE DU JOUR


allongé seul sur un matelas souple
au milieu d'une chambre à deux fenêtres
écoutant la pluie tombante, tombante
un barbare aux cheveux longs

les sons isolés trouvaient leur sens
dans l'ensemble et la continuité
dans l’étrange passage du temps
c'était la jeune matinée

l'homme éternua deux fois très sauvagement
puis renifla une fois très parfaitement
corps humain ou instrument de musique
au loin ronflait un engin

bientôt huit heures dans le songe du jour
moment favori pour aller sous un jet d'eau
désencrasser jambes musculeuses et bras longs
un ventre plat, un crâne à demi-chauve

au diable, ce lit ! pensa le Barbare
nous avançons sur la route 
qui va du réveil à la vie, et plus loin
au-delà des illusions du matin



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Photo : La poignée

mercredi 15 août 2012

SOLIPOLD LE PAISIBLE


sous un jour blanc de lumière
sur la rive d'une rivière aux eaux claires
un étranger à demi-chauve, aux cheveux longs
retirait ses vêtements fatigués

ses jambes musculeuses et ses longs bras
faisaient contraste avec les membres courts et gras
du peuple des hommes- et femmes-enfants
qui s’égayait sans crainte à ses côtés

la rivière baignait une cité neuve et artificielle
construite par des géants mécaniques
et policée par des automates hypocrites
au service des maîtres invisibles du pays

l’arrivée de l’étranger sur la rive gaie
attira un policier dont la raideur autoritaire, robotique
provoqua une vague d'imitations comiques
parmi le peuple des hommes- et femmes-enfants

l'automate hypocrite dit : Je suis un agent de la Paix
cependant qu'il s’avançait vers l’étranger
lequel, sortant des eaux où il s’était rafraîchi
répliqua d'une voix sauvage : Je suis un barbare paisible



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Photo : Riviérette apprivoisée

lundi 13 août 2012

SOLIPOLD LE BARBARE


dans le rare gobelet de céramique nippone
un précieux gin importé des îles britanniques
s'épuisait vite, mais sans vaincre la terrible soif 
du barbare Solipold

à ses pieds une troupe de félins endormis
agrémentait le simple sol de béton
sur lequel l'homme sauvage
allait et venait de ses pieds nus

la chaleur extrême du jour persistait sur la mer Noire
cependant que le Soleil éternellement cruel
roulait silencieusement derrière l'horizon
provoquant l'arrivée d'une myriade de fées

les petits êtres ailés et assoiffés de sang
vinrent tourner autour des jambes musculeuses du barbare
qui se protégea en se parfumant les mollets
avec du vin aigre de Caucasie

ignorant le nuage désemparé des vampires 
le buveur vida son gobelet avec un large sourire
puis, se glissant dans un hamac héroïque
Solipold le Barbare s'abandonna à une douce rêverie



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Photo : Songe barbare






DU PORC AU VINAIGRE



au bureau, j'ai faim - rien de métaphysique
je pense aux pièces de porc
cuites hier sur le feu, la braise
maintenant au frigo, à la maison

le frigo sur la terrasse, une bonne idée
il m'a fallu un an pour y penser
bière froide à portée de la main
le fromage itou, et loin des rats

avant j'avais des rats, des souris brunes
maintenant j'ai des chats, un deux trois quatre cinq
le père, je l'ai baptisé Scarface
la mère chat, c'est Monster ou Tama ou Mimi

les puces n'ont pas de nom, les maudites puces
shampoings et gouttes sur le cou n'y peuvent rien
je les enlève aux chats, une par une, en sacrant
ma crisse de puce je vais t'avoir !

les moustiques aussi visitent ma cool terrasse
ils piquent aux chevilles, systématiquement
du vinaigre sur la peau, ça les tient à l’écart
effet secondaire : Je sens les chips au vinaigre



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Photo: Les brochettes du moment

LES DEUX SORTES


deux sortes de poèmes :
celle qui exprime l’immédiat
et l'autre
qui évoque l'autrefois

deux sortes d'autrefois :
l'autrefois vraiment vrai
et l'autre
l'autrefois d'imagination

deux sortes d'imagination :
celle qui pince légèrement ce qui échappe aux sens, au sens
et l'autre
l'imagination des constructions pénibles

deux sortes de constructions pénibles :
la construction pénible des grandes falsifications
et l'autre
la construction pénible, héroïque, qui ne sert à rien

deux sortes de rien :
le rien impossible comme un cercle parfait
et l'autre
le rien d'impossible, qui donne naissance au Tout



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Photo : Les deux chapeaux

JE SECOUAIS DES VIEILLES IDEES SUR MA CHAISE


lundi matin, il pleut
gros nuages, peu de lumière
un coq chante, il doit avoir une raison
la nuit dernière une flûte jouait bizarrement

une longue succession de notes courtes, sans mélodie
un chien aboyait
l'air pesait des tonnes
je secouais des vieilles idées sur ma chaise

mon porte-clefs s'est brisé
pensez donc aux clefs qui pourraient s'en aller
se perdre, exister incognito
ne plus jamais travailler

la machine-à-laver aussi s'est brisée, conspiration
j'ai fait la lessive à la main
l'eau beaucoup, l'eau partout
je deviens un homme d'eau

le chien comme le coq a raison
le porte-clef, la machine-à-laver ont raison
l'air a raison, ma chaise a raison
c'est tout un univers de Raison



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Photo : Deux états d’être

MA NATATION EST PARI




je nage
m'éloigne toujours davantage
m'avance contre l'eau, sur l'horizon
sans tenir au rivage

vagues font du bruit
sont autrement de celles de la plage
sont moins accueillantes
sont un autre peuple de vagues

l'eau pousse
me place en surface
me fait nager debout
me fait marcher les bras

la peur passe
comme tremblement d'eau
comme mur à la course
comme coeur parti en fou

ma natation est pari
moi contre moi
si je gagne, je perds
mais si je perds, je gagne



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Photo : La case de départ

samedi 11 août 2012

LES BRAS, LES JAMBES



tu vas nager chaque jour
t’éloignant de plus en plus de la rive
sachant qu'il pourrait t'arriver un coup de fatigue
et alors, quoi ?

mais tu n'y crois pas vraiment
et puis l'eau te porte aussi bien que le sol
tu flottes comme n'importe quel corps dans un gel
dans l'eau, un bout de bois

bien sûr, une grosse vague arrive parfois
qui te soulève et te rapetisse
elle passe et toi tu restes
loin de la plage, loin

tu regardes sous l'eau, il n'y a rien
tu regardes le ciel, quelques nuages
tu regardes la rive, les êtres humains inoffensifs
et là, t'es bien

mais il y a toujours quelqu'un qui t'attend
ça fait qu'il vient le moment de rentrer
vas-y : Les bras, les jambes
c'est là qu'on voit qu'il te reste encore du souffle



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Photo : Fin de jour sur planète bleue









LE PREMIER QUI FRAPPE L'AUTRE


j'ai cet ami qui répète souvent
"Ils sont débiles
les gars d'ici
ils sont débiles..."

c'est une mère qui pleure à l'enterrement de son fils
un si bon gars !
mort au volant
après s'être injecté quelque chose

ici elles sont nombreuses les mères qui pleurent leurs gamins
tous des bons gars !
morts au volant ou autrement
avec quelque chose de trop dans le sang

l'autre jour sur la plage j'ai croisé un bon gars
lui aussi, il avait quelque chose dans les veines
il m'a insulté de toutes les manières ordinaires
en espérant que je le frappe

mon ami m'a dit
"Le premier qui frappe l'autre, celui-là a tort"
"Je vais te tuer," m'a dit le gars
"Mais non," je lui ai dit, "t'es un bon gars..."



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Photo : La circulation sanguine

vendredi 10 août 2012

LA SEULE ROUTE AU MONDE


je reviens de G. en voiture
quatre verres dans le corps
de la vodka maison, fruits mélangés
quelque chose de fort

je ne suis pas au volant
les yeux à gauche et puis à droite de la route
c'est un pays d'arbres :
Eucalyptus, cyprès, platanes

magnolias, palmiers, bananiers
peupliers, orangers, sapins
noyers, saules, pommiers,
pins, lauriers, mimosas

partout cette herbe haute comme la longueur du bras
verte claire, qui va donner des fleurs jaunes
les abeilles l'aiment beaucoup
une herbe à miel

et puis des vaches avec leurs veaux
des chevaux à demi-sauvages
des chiens errants, des chat-loups
je me dis : C'est la seule route au monde



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Photo : Chevaux du bord de la route 

jeudi 9 août 2012

LA TRACE DU LEZARD


il faut en écrire des poèmes
pour en trouver un bon
un poème que tu peux lire et relire
un poème qui laisse une trace

tu peux faire des traces de n'importe quoi
mais une trace de poème, c'est pas facile
c'est pas donné, c'est pas achetable
c'est pas tous les jours, pas toutes les fois

je bois de la bière
je pense au chat, The Ugly One, il a deux mois
je vais lui mettre un ruban rouge, et puis j'irai le porter
chez la dame qui veut le prendre

chez nous, c'est plein de lézards, la dame a dit
il aime attraper les lézards, j'ai dit
il y en a de toutes les tailles, des lézards, la dame a dit
il va tous les attraper, j'ai dit

il faut en chasser des lézards
pour en trouver un bon
un lézard que tu peux attraper et rattraper
un vrai bon lézard de sa race



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Photo : The Ugly One quand il avait deux jours

et

Dernière toilette avant le départ

UN PETIT POEME COMME UN PETIT POULET


Un Polonais est venu travailler ici
Je lui dis,
Le foie de veau en barbecue c'est délicieux
On va le faire demain

Je vais au marché, mais j'arrive trop tard
Plus de foie de veau !
Mais il y a des poulets-maison, $10 le petit poulet
J'en prends deux, et puis deux côtelettes de porc

Puis des citrons, puis des piments forts
Puis vingt bouteilles d'une bière ukrainienne
La Chèvre, que j'aime bien
Parce que c'est mon signe chinois

Jus de citron et piment pour la marinade du poulet
Une bouteille de bière ukrainienne pour le porc
Pendant que ça marine, nous travaillons
Je demande à quelqu'un une hache pour le bois

A six heures, la braise est déjà prête
A sept heures, nous mangeons
A huit heures, je vais me baigner dans la mer
C’était avant-hier - il reste encore de la bière


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Photo : L’âme du poulet











LA MER EST GRANDE ET BELLE ET BLEUE



une femme téléphone sa grand-mère
lui demande : "Grand-maman,  est le chien ?
 est le chien, grand-maman ?
où est le chien, l'as-tu mis dans la rue ?"

la femme dit à sa mère qui est à côté d'elle :
"Grand-maman ne comprend rien !
elle n'a pas mis le chien dans la rue !"
le téléphone change de main

la mère de la femme téléphone sa mère
lui demande : "Maman, où est le chien ?
 est le chien, l'as-tu mis dans la rue ?
 est le chien, quoi, dans la cave ?"

la femme et sa mère sont au bord de la mer
la mer est grande et belle et bleue
les mouettes sont dans les airs et sur la mer
me voilà qui pense au chien et à la grand-mère

dans la main de la mère de la femme
un parapluie Vogue en guise d'ombrelle
l’extrémité d'une baleine
a failli de m'arracher un oeil bleu



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Photo : Au bout du pied comme au bout de la main

LE NID-DE-POULE A DES ANNEES-LUMIERE DE MOI


chant de scie ronde sur pierre taillée
tête de marteau sur tête de clou
torse nu dans la chaleur bleue
des ouvriers à des années-lumière de moi

chat roux se retournant contre une roue
chaussée qui fait toujours des morts
bêtes et pauvres gens tuées
des tragédies à des années-lumière de moi

aujourd'hui encore, les cris des enfants
impossible d'être mort, si la mort c'est la fin de l’être
grognement d'une machine inconnue, un grincement
une balançoire à des années-lumière de moi

aboiement du chien dans la continuité du Chien
cigales mâles appelant cigales femelles
battements du coeur contre l'oreiller du matin
je suis à des années-lumière de moi

atome d'or brillant au centre du cosmos
pur noyau, épaule heureuse sous sa charge
creux de présence dans le champs du Néant
un nid-de-poule à des années-lumière de moi



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Photo :  Continuité




LA POUSSIERE VISIBLE ET INVISIBLE




balayer ce coin dans l'angle de la porte
la toile de crasse, noire d'araignées
la poussière visible et invisible
ces petites choses dans les inégalités du sol

balayer le plancher qui touche aux murs
le bord du tapis, le dessous du tapis
l'intérieur du lit et ses objets perdus
tiens, un ours en mousse dans un sachet plastique

balayer les livres grisonnants, jamais vraiment lus
les carnets vides et sans espoir, les stylos morts
les systèmes de pièces de monnaie inutiles
les câbles électriques connectés à l'infini

balayer les boulettes de papier, les cailloux-souvenirs
les échecs de la Belle-Au-Bois-Dormant
la guitare sans corde et sans merci
le jeu de cartes aux cinquante-deux espèces de microbes

tout épousseter, entre mes orteils et sous les bras
tout dépoussiérer, sauf cet objet accroché au vide
et qui ne connait pas la poussière :
mon miroir, mon beau miroir



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Photo : Clandestino regardant devant lui

vendredi 3 août 2012

PAR UNE ECHELLE DE CORDE



depuis longtemps je suis assis
dans mon bureau, dans la pénombre
la porte fermée, la fenêtre ouverte
et puis j’écoute le monde

les cigales cymbalisantes
des moteurs vrombissants
des enfants qui crient, c'est l'heure du jeu
et puis le grincement d'une balançoire

c'est l’été, le plein été
les enfants sont dans un jardin d'enfants
moi, dans mon bureau, j’écris
des grincements, de la pénombre

une fille magnifiquement nue
une étoile à la main, un soleil dans le ventre
m'invite à monter dans sa soucoupe volante
par une échelle de corde

depuis mon enfance, je l'attendais...
la porte fermée, la fenêtre ouverte
j'ai jamais voulu ni partir ni rester
mais m'envoler



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Photo : Point de départ

mercredi 1 août 2012

MA PARFAITE CONNAISSANCE DU MONDE


c’était la moitié du jour
dans ce pays de montagnes arriérées
et aucune vérité nouvelle n'avait encore troublé
ma parfaite connaissance du monde

j'allais au dispensaire de G.
pour la visite du mardi
quand je vis, sur le côté de la route
une fille à moitié nue

c’était une brunette de treize ou quatorze ans
gorge nue, pieds nus, vêtue seulement d'un jeans
mais aucune vérité nouvelle pour troubler
ma parfaite connaissance du monde

la fille fit un pas de côté
dans ce pays de montagnes arriérées
elle regardait le jour
une vérité à moitié nue

au dispensaire de G. je vis une jolie brune dans un lit
et les médicaments qu'on lui avait apportés
pour le sida, la tuberculose et la fièvre
ma parfaite connaissance du monde



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Photo : Nu 

(une balise antique? objet vu à Paris)