jeudi 29 novembre 2007

AMOUR EN CAGE





II



Une femme au visage jovial et resplendissant d’aménité accueillit Edouard P lorsqu’il entra dans son bureau. C’était sa secrétaire « à l’ancienne », on l’appelait madame Libilis. Elle paraissait sans âge. Elle avait les yeux bleus et le regard paisible, des cheveux châtain clair qu’elle gardait soigneusement coupés courts (trop à mon goût) et le teint fleuri, et la poitrine pleine. Elle examinait une plante en pot placée sur le rebord d’une fenêtre, une alkékenge aux fruits presque mûrs, qui ressemblaient typiquement à des petites lanternes de papier fin et orangé.

« Bonjour monsieur P, » salua madame Libilis.

« Comment va l’Internet ce matin ? » demanda impoliment le gros P.

« Comme le tournesol sous les nuages, » répondit madame Libilis tandis qu’elle enlevait à l’alkékenge quelques feuilles jaunies.

« Comment vont les fruits ? » demanda P en pointant un index ganté vers la plante.

« Ils mûrissent pour vous, » dit la douce secrétaire qui préparait chaque année une drogue en broyant les fruits d’une récolte habituellement abondante, car elle avait le pouce vert, et plusieurs douzaines d’alkékenges croissaient chez elle, cela à la plus grande satisfaction de son patron. Il faut savoir que le jus du fruit de l’amour en cage—c’est un autre nom de cette plante—a des pouvoirs anesthésiants et anti-inflammatoires utiles quand on l’applique directement aux éminences douloureuses appelées hémorroïdes et qui faisaient beaucoup souffrir notre massif ami, Edouard P.

« Comment vont les nouvelles ? » demanda ce dernier.

« Vous le savez sans doute mieux que moi : le nombre des partisans de la révolution double de jour en jour. Aux échelons inférieurs du gouvernement, les insectes levant leurs antennes pour écouter la rumeur se laissent peu à peu séduire par ses promesses mielleuses. Le vice-ministre de la Lumière a démenti voilà une heure l’annonce de son arrestation ordonnée dit-on par le ministre lui-même… »

« Quelle heure est-il ? » demanda P en coupant brutalement le rapport de sa secrétaire.

« Dix heures trente, » répondit madame Libilis.

« Lejeune est-il ici ? » demanda encore P.

« Dans votre cabinet, » répondit la secrétaire avec un sourire fanatique.

« Eh, eh, eh, eh ! » fit Edouard P de sa voix fluette, tirant la langue au mur. « Il y a une araignée, là, » dit-il, et il écrasa la bête innocente de son index ganté.

« Le froid les ralentit, » déclara-t-il ensuite.

« Il faudra justement que nous commencions à chauffer… » suggéra la dame en caressant le coqueret (c’est aussi un nom de l’alkékenge).

« Pas avant le seize novembre, » répondit P, et il se tourna à gauche pour faire face aux trois portes qui permettaient l’une comme les deux autres d’entrer dans son cabinet. Il y avait là un petit mystère que j’expliquerai plus loin, la raison de ces trois portes placées l’une à côté de l’autre, mais pour l’instant je veux suivre Edouard P qui se décida soudainement et choisit la porte du centre qu’il poussa pour entrer dans son cabinet, moi derrière lui.



(à suivre)


Suivez ce lien pour lire le premier épisode de cette série inédite!

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[Image : Le tour du chapeau par reading_is_dangerous]

EH, EH, EH, EH !




Je ne me souviens pas d'avoir jamais remarqué en rêve une ombre.
-E. P.



Quand il entra dans le couloir qui menait à son bureau, j’enlevai à Edouard P sa coiffure que j’envoyai rouler jusqu’à l’autre bout du corridor, vers la fenêtre par laquelle je m’étais introduit en ces lieux, mais ma plaisanterie ne causa chez sa victime aucune réaction distincte. À vrai dire, je n’en avait pas espérée, car je connaissais bien le maintien de cet homme. Il traversa le passage avec lenteur, ignorant les sept premières portes à gauche et leurs voisines d’en face, et puis il s’arrêta à la huitième (celle de gauche) devant laquelle l’attendait son chapeau.

Edouard P, je vous en fait un rapide portrait : cinquante-huit ans, un corps massif, mais qui n’était que l’entourage trop lourd de la perle du cerveau. Il avait le teint vert-de-grisé du cuivre, son visage servait de brasero aux charbons allumés des yeux. Le nez du monsieur ressemblait à une catapulte double dont les cuillères ou narines expulsaient des boules de souffle en suivant le rythme imposé par la bouche qui aspirait pourtant peu d’air, moins qu’une mouche. Ce personnage shabillait d’une veste noire Élève de la plus belle qualité.

Et il regardait donc son chapeau, une chose biggar
ée, faite en vraie peau de phoque. D’une main gantée de cuir granulé il reprit possession de son couvre-chef, et puis il fit deux pas longs vers la fenêtre qu’il ferma d’un coup de poing avant d’agiter celui-ci dans les airs, tirant la langue et lançant d'une voix fluette « Eh, eh, eh, eh ! » en guise de défi. Il tourna ensuite le dos au jour. Je dois vous dire quil ne pouvait pas me voir, parce que...

Dans la grisaille du couloir Edouard P retourna à la huitième porte qu’il poussa de son poing ganté sans frapper ni tourner de poignée (il ny en avait pas de ce côté), et puis il entra dans son bureau, moi derrière lui.


(à suivre)



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[Image : Le gardien de la suite du récit par reading_is_dangerous]

mercredi 28 novembre 2007

L'HUITRE A MOTS



à journée longue je dessinais
des figures drapées

la nuit je peignais si bien que je ne pensais plus qu’en formes et en couleurs
des courbes et des droites
des lignes pleines et des pointillés

au sein de parfaites symétries, je réfléchissais
vers quelque divine asymétrie, je projetais mes pensées

visages
corps
paysages
objets, des rochers
du mouvement…
je pourrais continuer cette liste ; elle va loin

jusqu’à l’abstraction la plus capricieuse qui m’offre son soutien

et des océans de vérité sous des ciels faux
m’incitent à retrouver mes nageoires, mes ailes

le beau (la beauté) le laid (la laideur) tracent les limites d’un pied ou le contour
d’un rictus

je cherche à savoir tout ce que ma main sait
tout ce qu’aiment l’œil, mes yeux, mais que j’ignore

je pourrais aussi bien penser en musique—on m’a offert une guimbarde,
ruine babines

MAIS LES MOTS !
...par exemple celui-ci que j’ai pris au hasard :
stil de grain Couleur jaune verdâtre obtenue en pulvérisant les baies de nerprun
des teinturiers avant la maturité et en les préparant avec du carbonate de plomb

nerprun formidable
gentil carbonate de plomb impossible à croquer ou presque
les teinturiers, un monde,

éteins! Tu tues le rire...
Je songe à Abraham sur le point de sacrifier son fils, Isaac, celui qui rit


AMENEZ-MOI DES MOTS !

trésors des mots antiques, enfouis, à déterrer
morceaux des mots déchirés à recoudre, à recoller
angoisse des mots détournés
secret des mots d’origine inconnue
exotisme des mots étrangers, khendzor, pomme en arménien
exaltation des mots interdits
grimaces des mots sales, puants, ou le plaisir des injures…

mots pour bébé
mots sacrés
mots magiques qui vous coulent entre les doigts

jouer avec les mots pour penser avec eux
Ou se coucher dessus, avec des...
pensées de corps qui dansent le cha cha cha des mots
pensées des idées immobilisées, torturées, tasérées
pensées de mots qui pensent, des verbes à peser, lourds, lourds

mon sac à mots pour le voyage…

C’est une drôle de saison que la fin de l’automne…
Quand les feuilles des platanes passent du vert au cuivré
(à l’inverse du cuivre qui passe au vert-de-gris)

et puis je l’écrivais l’autre jour en anglais,
Chaque courbe en chaque lettre est porteuse d’espoir

et puis il y a nos amies les grappes de virgules,,,,,,,,,,
et les bonis de tirets------------

l’huître à mots : d’une question irritante elle fait un globule argentin, une précieuse réponse

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[Image : Adverbe que pourra! sexclama l’huître à mots par reading_is_dangerous]

samedi 24 novembre 2007

VOUS NEIGEZ


en rêve je
traversais à la nage une rivière équatoriale

et puis je me réveillai
un chat sur mon épaule

j’avais la soif
je pris une tasse remplie d’eau et pressai un demi citron

écrivons quelques lignes, décidai-je
_

___ __
_____ __________ _______

il était sept heures du matin, a-aime
et puis j’observai la blancheur de l’aube...

une tache inconnue sur les toits d’en face
une tache pâle

soudainement je compris
qu’il neigeait

elle neigeait la première neige de l’année
elle neigeait la plus jolie

elle neigeait presque dans mon lit
elle neigeait, moi je tremblais

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[Image: Où, ma luge? par reading_is_dangerous]

vendredi 23 novembre 2007

VAISSEAUX


le joli texte
et le beau vase
se suffisent à eux-mêmes.

et tant pis pour les fleurs !

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[Image: Plante imaginaire par reading_is_dangerous]

YEUX DES SOUS-BOIS POURRISSANTS


yeux levés
yeux à levures
yeux à projections

dans l’humus de l’œil des bois une forêt de fougères rapides
suivie d’une forêt d’érables lents

et du lièvre
et du renard
et de la perdrix dans l’œil

yeux des sous-bois pourrissants
yeux des souches en décomposition
yeux ronds parce que le monde est rond
yeux pourris dans un monde mourrant

chaque matin il bouffe des yeux de cent ans
dans la rue une centaine
dans le métro trois, quatre cent yeux de cent ans à la coque
au bureau cent, deux cent yeux à la coquecigrue
des yeux de grandes grues
des yeux de putes de grand cru
des yeux de chutes de rein
des yeux tombés des nues
des yeux sans but

yeux qui moisissent dans l’obscurité intérieure
yeux perdus
qui appellent à l’aide
qui vous attrapent le bras
qui vous mordent

des yeux brunis couchés au fond de l’aquarium abandonné
des yeux de poissons qui flottent sur le dos
des yeux qui n’osent plus ouvrir la bouche
qui ont perdu le nez, le Nord, l’énorme rondeur du regard

le regard est bon comme le monde est bon
le regard se décompose quand les paysages se décomposent
l’organe inutile régresse

le troisième œil,
l’œil du cœur de l’esprit,
l’œil de la compassion,
cet œil-là, s’il ne sert pas, se change en noisette dure
qu’un écureuil malade emportera peut-être
sinon la moisissure s’en chargera

noisette pourrie
l’œil des importants, des infatués d’eux-mêmes
yeux attachés aux ténèbres
yeux avariés, immangeables
donnez-les moi !
je suis un champignon.

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[Image : Le nid par reading_is_dangerous]

mercredi 21 novembre 2007

LE VIEIL HERCULE


trois ou quatre mots viennent d’abord me trouver
des petits visiteurs à ma porte
qui me font des signes
qui m’invitent à les suivre
qui me parlent d’un malade
une idée malade
une idée à examiner
une idée à sauver?

mais je ne suis pas médecin, leur dis-je,
tant pis ! répondent mes guides,
il faut donc y aller,
les suivre,
les écouter me parler du malade,
la pauvre idée agonise,
la pauvre idée se lamente,
la pauvre idée a peur de mourir sans laisser de trace

c’est par ici, disent les mots
venez, venez, venez, entrez, entrez chez nous, répètent-ils
et j’y vais, j’entre chez eux

c’est une sombre demeure
au plancher comme la paume de la main, chaud, la fièvre !
Les murs toussent

je traverse un corridor
on me pousse à l’intérieur d’une chambre
noirceur!
noirceur!
et des odeurs de renvois…
je demande une bougie
oh! Une idée qui brûle…

couché sur un lit de crayons, un vieil hercule épuisé me fait signe d’approcher
Je suis un vieil Ostrogot, dit-il à voix basse
Je suis un vieil escargot, lent ! très lent à mourir,
mais vous devez faire vite, docteur !
car je sens que mes forces me quittent

je ne suis pas médecin, dis-je au malade
Tut, tut, tut, répond-il avant de perdre connaissance
Je n’ai plus le choix d’opérer ou non :
Je tape le vieux mot,
Ostrogot,
Ostrogot,
Ostrogot,
jusqu’à ce qu’il revienne à lui

ensuite quelle fête !

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[Image: LOstrogote par reading_is_dangerous]

mardi 20 novembre 2007

LA GROSSE PEI-PEINE


je suis un bol de soupe au poulet,
chaud,
chaude la soupe,
quoique bientôt tiède,
car de minute en minute je refroidis,
et d’heure en heure puisqu’il le faut,
et de pénible saison en pénible saison,
mais par dépit j’aime à me présenter sous un autre jour,
je dis: c’est moi le dragon rebelle,
le carnassier sauvage (mais urbain),
le monstre de colère (mais studieux),
la haine qui chante (sur RSS feed),
le miroir critique (moi! moi! moi!),
la grosse pei-peine enfoncée comme une aiguille dans l’œil,
et mes vingt ans, madame, les voulez-vous ? je vous les donne,
mais ne prenez pas mes mots !


petit poulet, écoute un peu :
la révolte fait toujours rire
quand on la marque d’un copyright.

moineau parmi les moineaux
tigre parmi les tigres
froid interstellaire parmi les froids interstellaires
homme chez les hommes... tout va bien,
le mal lui-même va bien.

nuage d’homme,
tu peux nous faire de l’ombre,
crier,
pleurer,
mais souviens-toi : c’est du vent qui te pousse.

mange donc ta soupe avant qu’elle soit froide

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[Image : Cuirettes coulantes par reading_is_dangerous]

lundi 19 novembre 2007

ICI COMME AILLEURS


ici comme ailleurs
nul ne sait vraiment à quoi
songe le berger
et lui-même l’ignore parfois.

en Arménie vit une aimable vipère
dont le venin vous libère
en quelques minutes de tous vos tracas

on l’appelle gurza

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[Image: La Serpente par reading_is_dangerous]

samedi 17 novembre 2007

L'UNIVERS ASSIS


j’ai arraché de moi l’homme,
mais il a repoussé

alors j’ai creusé le sol jusqu’à l’extrémité de la dernière racine,
et puis j’ai tout enlevé,
toute partie végétale,
tout l’homme,
mais ça a encore repoussé

alors j’ai mis le feu. La terre brûlait…
dans la maigre flamme je me suis reconnu

ensuite j’ai attendu
assis dans la cendre, méditant

patience !
patience !

comme le chasseur j’ai attendu
comme le chat, le chien, le crapaud, l'araignée

j’ai attendu
assis dans la cendre, méditant sur cette formule de Hermès Trismégiste
et citée par Pascal,
« Dieu est une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part. »

plus tard (mais qu’est-ce que plus tard ?) j’ai vu que ça repoussait.
L’homme en moi repoussait ; j’ai repoussé, ressurgi : un phénix.
On dit que cet oiseau mythique ne peut se poser ailleurs qu’au centre du monde

j’ai soudainement compris

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[Image : L’univers assis par reading_is_dangerous]

vendredi 16 novembre 2007

LES MATINS BIENFAISANTS


il y a des matins gris, des réveils bleus
quand le prud’homme lui-même
souhaite brièvement qu’un ruban de pensées violettes ou brunes
lui révèlerait la façon, les mots magiques, les ingrédients d’un filtre de
métamorphose…

il y a des matins gris, des réveils bleus et lourds
quand la coupure du rêve dans la tranchée du réel
éventre une porte qui gardait la chambre du sage contre la sottise ;
les ventouses humides, des bœufs de désespoir,
des quatorze et des seize minutes d’incompréhension passent à l’attaque
et celui ou celle qui venait de se lever du lit s’assied alors…

il y a des matins gris, des réveils bleus et lourds et positifs
quand on voudrait pouvoir se donner un sérieux coup de serfouette
et bouleverser l’ordre intérieur, les cétacés de ses organes : cœur, foie, poumons…
écraser sous les sabots de la liberté tout ça qui vous tient
et s’envoler sur un balai comme une sorcière honorée par les servantes du tarot

l’unité du corps et de l’esprit, cette unité paisible, bleue, grise,
et la double hélice, le pli du genou,
l’embûche de la vie, la fausse marche du temps
désorientent le météore philosophe lui-même

je ne sais plus de quel côté me tourner pour te saluer, soleil
je ne sais plus pourquoi ce matin gris, bleu,
ce potentat au teint blafard qui règne sur mes jours,
qui m’impose ses tarifs

motus, ne dis pas mot ! Ne chante plus !
Tu es l’oiseau aveugle qui ne sait pas la percée de l’aurore.
Ta tête, je l’ai placée dans un sac de novembre,
une poche de matins gris, de matins bleus, de matins bienfaisants

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[Image: La coupure du rêve par reading_is_dangerous]

mercredi 14 novembre 2007

LA SOCIETE DE LA COLLE


Voici le plan d’un récit que j’ai imaginé ce matin, tandis que j’écrivais un énième poème surréaliste et beau, mais inutile ou presque, au sujet d’une contrée battue par le vent, un vent si fort qu’il emporte le cœur des habitants de ce pauvre pays, et les couleurs du jour, et la noirceur de la nuit.

C’est l’histoire de A., un esprit pratique qui a réussi dans les affaires sans trop se compromettre, sans grossir du ventre, en gardant son sourire intact et l’amitié de ses amis. Il n’a jamais fâché personne sauf un cousin, B., qui se cache en dehors de la capitale lorsque débute mon récit, après sa tentative ratée pour provoquer une révolution dans leur petite république, laquelle pourrait ressembler à l’Arménie, mais sans que je le dise, parce que ça me gênerait, car je la connais mal malgré mes huit années passées chez elle.

B. a du génie, de l’intuition, des idées, du charme, mais son intransigeance et ses colères infatigables l’ont poussé dans un coin où il n’y a pas de place pour personne dautre que lui. Et ce fou continue pourtant à avancer au risque de s’écraser contre les murs qu’il a lui-même construit.

A. découvre sa cachette quelque part en montagne. Il s’agit d’une maison perchée sur une falaise visitée par des aigles et des corneilles, et qui fait face au vide, face à une région sauvage qui fascine B. « C’est une femme laide dont nul homme n’a voulue, » dit B. à A.

Il y a une morte dans cette histoire, une amie de A. séduite par B. Elle s’est probablement suicidée, sans doute à cause de B., et ce mystère est peut-être à l’origine de la visite de A. qui affirme pourtant qu’il vient chez B. pour le ravitailler et le sauver de lui-même si c’est encore possible. Mais puisqu’il y a de la révolution dans l’air, il y a d’autres raisons possibles. Soit dit en passant, le plan de B., son projet, j’en ferai le contraire exact des objectifs défendus par la Société de la Hache fondée par Netchaïev qui voyait dans l’Autre, son prochain, un capital « à dépenser. »

Par un matin gris, A. quitte la cachette de B. empruntant un sentier qui mène vers la « femme laide, » ce territoire sauvage dont j’ai parlé. Il vente avec force. Une bourrasque arrache son chapeau à A. qui tente de le rattraper d’une main rouge de sang.

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[Image : Les doigts du mal par reading_is_dangerous]

CE SI N'EST PAS DE MOI


Un soleil à pattes, oui. Une lune de robe, oui. Des étoiles dans la soupe, oui. De l’Eipho en vitamine, oui, et de l’oncle Eibho, s’il le veut, si vous le voulez bien, sinon faudra recommencer tout mon récit, la saga de Sanna, oui, oui. Il faut écrire, c’est ce que je me répète comme le ferait un cheval qui tourne en rond, une bulle de savon, une femme roulant des hanches, un doigt dans l’oreille, un orteil dans le nez. Je collectionne des tubes d’antimatière récoltés au fond de mes sinus, c’est une technique damesoufflante, je me dis que cette phrase ne va pas me lâcher, c’est un mélimélo, je lance des hop! hop! hop! à gauche, à droite, façon carnet mireillette, je, je, je, des, des, des, flic et floc, si, si, do, do, nenni, ka, c’est un cas, et je passe d’une échelle à l’autre, d’un moineau à l’ombre d’un moineau. Écoutez, je voulais justement vous le dire, vous n’avez pas le droit de nous laisser tomber, non.

Dans les bois, j’ai vu un trou ; il y avait dedans un vieux tas de jeunes branches qui murmurait des légendes de lapin de garenne, du style : « Gare au loup ! et lard au goût !» Et puis l’obscurité m’est tombée dessus... Vous savez bien comment tout tombe dans mes histoires : Comme un corbeau, couac ! J’ai vu le loup, c’était une louve, elle a dit, « Miam ! » et je me suis jeté vers elle en criant, « Tu ne m’auras pas ! »

Je vais from now on écrire de plus en plus souvent, même si ça ne se dit pas.

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[Image : Le cheval de manœuvre par reading_is_dangerous]

samedi 10 novembre 2007

MINIUM NATIF


je cherche du minium natif
pour faire de la couleur à l’huile
pour faire le portrait de la jolie veuve Sanna
que je souhaite peindre sur un broc pour le lui offrir à son réveil,
quand elle sortira enfin du profond coma qui la tient,
taloche de la Fortune, depuis cette
terrible chute que nous avons racontée plus tôt.

c’est une méchante fistule qui me torture le deuxième
a. (pensez au troisième œil,
à la troisième oreille) lequel est bien sûr l’orifice réservé
aux pensées basses et injurieuses, car j’en veux beaucoup
au président actuel de la Phrance
cette bête anoure (le président, pas la Phrance)
cette fleur du mal apétale,
je lui en veux pour son discours amoureusement prononcé devant l’Affairique
tandis qu’on se prépare à mettre en accusation le vice-président d’une
administration génocidaire, maniaque, voleuse, menteuse, et laide.

ce que nous voulons dire
c’est que la fiction va retrouver le chemin de notre carnet,
mais qu’en ce moment, l’anti-héros de nos pensées,
c’est ce diable informe : l’homme politique mou,
la méduse,
l’invertébré qui vit dans la mer de
nos parlements et chambres des communes détournés.

on exige de nous du sang contre des nuages.

si j’étais un magicien capable,
je ferais graillonner nos traîtres tapissiers ;
ils cracheraient le morceau, leurs vers du nez, toute la mer de
leurs entrailles, la vérité sur leurs mensonges, les maudits.

ah! Le minium -- le nom vulgaire du deutoxyde de plomb, qui est rouge, rouge
comme je vois le monde, le nôtre,
il faut qu’elle sache, Sanna, notre couleur favorite, la plus belle :
celle du sang sec.

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[Image : Message codé par reading_is_dangerous]

vendredi 9 novembre 2007

LA FLAMME, LA MIENNE


le fiel est en ceux
dont le ciel est en feu ;

nous sommes malheureux dans cette maison,
mais pas par ta faute.

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[Image : Chagrin par reading_is_dangerous]

lundi 5 novembre 2007

DES PONTS


Ils sont nombreux les endroits difficiles à visiter, pour toutes sortes de raisons, des bonnes et des mauvaises, des connues, des inconnues, des vieilles et des nouvelles, des incontournables et des insurmontables, mais on passera. Pamo ! Eh ! Viens ici, gélative bleue, je vais t’expliquer ça : Il manque des ponts, or nous ne pouvons vraiment aller nulle part autrement qu’en marchant. En automobile, en avion, ça ne compte pas, les distances traversées ne comptent pas, ce qui compte, c’est la trajectoire parcourue dans l’espace lorsqu’on tient compte du déplacement de la Terre, du Soleil, et de la galaxie. Le mouvement d’une voiture bousille tout ça, les vieux chemins. L’accès à ces endroits qui nous intéresse dépend de la trajectoire parcourue depuis le moment du départ. Quand partons-nous ? Bientôt ! Bientôt !

Pamo ! Pango ! C’est le même nom, ne te mets pas en colère ! Cher ami ! Prends un poignard ou deux, une lance, une cordelette dorée, et puis de quoi manger, un os à soupe. J’aime la soupe. Il nous faudra aussi une marmite. Tu peux la porter sur ta tête, ça te fera un casque, un heaume, un pot, mais ne pisse pas dedans ! Oh! Je disais ça pour rire !

Gélatine bleue, tu me diras d’où tu viens. Nous partirons à pied, tout de suite, maintenant. Dès que nous avons décidé de partir, nous sommes partis. Il nous manque des ponts, des mots ; je vais devoir les chercher. Il faut beaucoup de mots pour arriver à ces pays étranges qui nous intéressent. Je les ai oubliés, ces mots, ou je ne les ai jamais connus. M’en fiche ! Nous chercherons, nous chercherons au hasard, c’est ce qu’il faut, du hasard, de la poésie, de l’espoir, de la foi. On ne peut rien faire sans la foi, la foi en soi : Il n’y a qu’un seul dieu, un seul corps, une seule volonté, un seul espace, un seul moment, une seule chose, mais cette chose elle-même ne le sait pas, nous ne le savons non plus, tu ne le sais pas, je ne le sais pas, le bon peuple de Kang Lo ne le sait pas. On ne sait rien ou presque.

La foi, la folie, c’est très près. Je parle aux murs. Ils me répondent. Le sol n’est pas cette surface inerte qu’on imagine, pas même le sol de marbre, pas même un sol de béton. Le sol, le plancher, la route, les ponts, les mots ; il faut qu’ils soient d’accord, tous ! Pour que nos pas, nos paroles, NOS PAS ! nous portent là où nous allons, où nous devons aller, où personne d’autre que nous ne peut aller. Ah ! ah ! N’oublie pas ton poignard, un autre poignard, la cordelette dorée, l’os à soupe, la marmite. Je ne demanderais rien de tout cela à quelqu’un d’autre que toi, Pamo, Pango ! Il n’y a que toi qui puisse m’aider. Tu ne dois pas me laisser tomber. J’ai fait ton portrait, l’autre jour, ce n’est pas rien. Dans ton portrait, dans le portrait de toute personne, si c’est bien fait, si on sait y regarder de près on peut y découvrir la clef du sujet. J’ai trouvé ta clef, cher ami. Ta clef, ton chiffre, ton accord. Tu dois venir avec moi puisque je sais ton accord. Tu ne peux pas refuser, vieux démon, monstre, gélatine : mon ami Pango.

Allons ! Léger ! Léger ! Deux poignards, une lance, une cordelette, une marmite, un os !

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[Image: Par là-bas par reading_is_dangerous]

dimanche 4 novembre 2007

DES PERLES TROP LOURDES


Il a toujours cru qu’il savait écrire, qu’il saurait écrire, qu’il s’y mettrait un jour, qu’il coucherait des mots, beaucoup de mots, des mots merveilleusement bien placés les uns après les autres, qui emporteraient le lecteur loin de sa chaise, loin de ses préoccupations quotidiennes, loin des petits tracas, des petits bobos, des petites peines, loin des désastres, de la peur, de l’ennui, au-delà du réel, de la vérité, du mensonge. Vers un univers poétique : voilà à quoi il songeait, voilà la route qu’il cherchait, qu’il espérait trouver, mais il ne cherchait guère. Il attendait, il attendait que la route vienne un jour à lui, « tiens, » se disait-il, « tiens, tiens, » continuait-il, « serait-ce enfin un bout de route que j’aperçois en train que de naître sous mes pieds, » mais il ne bougeait pas, il n’avait jamais fait un seul pas, ses orteils, ses orteils n’étaient déjà plus en état de voyager, ses orteils avaient pris racine, mal, de travers, trop près d’un énorme rocher, à trop grande distance d’un point d’eau. Sans eau, comment écrire ?

Il ne savait rien ou presque. C’est pourquoi il inventait des murs, des déserts, des cordelettes, des poisons bizarres, des noms incroyables, des pilules de chance, des ciels ambitieux, des perles trop lourdes pour qu’on puisse les remonter à la surface des eaux, de la mer, hors des vagues, à l’abri des poulpes, des pirates, des escrocs, des voleurs, des agents de l’État, des spécialistes, etc. De toute façon il ne savait pas nager, pas en dehors de l’eau.

De temps à autre il s’arrêtait pour cueillir une jolie fleur, mais ça le ralentissait. La vitesse et l’accélération sont des déesses capricieuses. Demandez aux étoiles ! Elles ne s’arrêtent jamais ! Prudentes, prudentes les étoiles ! Elles vont ! Elles vont ! Légères! Légères!

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[Image : La fleur de route par reading_is_dangerous]

jeudi 1 novembre 2007

LA FARCE


la vérité n’attend pas.

Tant que tu restes assise,
elle s’éloigne de toi,
et avec elle sa lumière.

Sous un soleil pâle,
sur cette chaise qui te hait,
dans la grisaille tu songes au gobelet rose,
à sa potion d’amour perdue.

Tu joues une drôle de farce,
ta vie,
avec un pistolet en guise d’amant.

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[Image : Novembre chaque jour par reading_is_dangeous]