dimanche 30 novembre 2008

LE VASE ROSE




La forêt du Nord s’étendait autrefois sur quatorze régions dont l’une, nommée l’Ecume, constituait l’orée des bois, face au Désert Electrique. Dans l’Ecume poussaient des mousses qui sortaient d’entre les arbres, et quelques taillis dispersés, aux projections chétives, mais rien d’autre. Dans l’Ecume, au hasard d’une chasse aux céramiques sauvages, la fille Bourbon trouva un homme endormi. Or c’était la première fois qu’elle voyait l’un des habitants du désert, car ils se faisaient rares et souvent invisibles. La chasseuse s’était assise...

Le dormeur enroulé dans une couverture respirait légèrement. C’était une couverture « boa » d’une sorte que Bourbon ne connaissait pas. Elle tenait chaud, mais sa longueur insuffisante laissait paraître les orteils nus de l’homme. Ils étaient dix boutons roses et immobiles sur le sable noir du désert. Bourbon les surveillait depuis une demi-heure quand un mouvement de tête attira son attention, et puis elle aperçut une paupière se soulevant pour dévoiler la pépite dorée et le disque insondable d’un œil qui lui dit : « Je renoncerai à poursuivre mes rêves, si tu restes avec moi. » 

La fille se leva. Huit mètres la séparaient de l’homme réveillé. Pareille distance convenait à cette situation, quand une fille des bois rencontre un inconnu dans son sommeil. Il faut savoir qu’on respectait plusieurs usages, dans ce pays, parce qu’on était convaincu que les règles de conduite personnelle facilitent la vie en société. Les huit mètres évitaient que les mal réveillés se méprenassent sur l’identité ou les intentions d’une apparition imprévue.

« Je renoncerai à poursuivre mes rêves, » avait dit l’inconnu. 

« On peut les attraper au collet, à l’aide d’une reginglette à songe, » répondit Bourbon. 

« Vrai, » dit l’inconnu, se levant, « mais il faut pour cela une cordelette dorée. »

Sous la Boa l’homme du désert était nu (comme ses orteils), mais soudainement il disparut, et sa couverture avec lui. Bourbon cru avoir rêvé, mais en examinant l’endroit où s’était tenu le disparu, elle constata du bout des doigts une certaine chaleur du sol. Alors un tourbillon de vent lui remit un papier de soie porteur des mots suivants : « Tu es ce vase rose dont la forme unique conserve cette part la plus désirée du vide. »

Dans la clarté du ciel, un nuage pourpre évoquait étrangement une églantine.
 


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[Image : Porte réciproque]

samedi 29 novembre 2008

LA SYNTHESE DE NOS ELANS




Leur lit ou une poire douce de bien-être. Des feuilles vertes à la place des sentiments. Des émotions ou le nectar de pensées. Le nid des nez. Des mentons heureux. Bourbon et Telemind endormis glissaient d’un nuage de soi à l’autre. « Je suis… » et « Nous sommes… » allaient leurs songes, des débuts de récits instantanés, des spectacles improvisés de participes, lesquels servaient à des définitions ou des identités. « Je suis… volant… » et « Nous sommes… bataillant d’amour. »

Bourbon, c’était la fille. Telemind, c’était l’homme. La femme. Le fils. Le garçon. Ils voyaient le visage de l’un sur les épaules de l’autre. Le bout des doigts disait « Je t’aime ! » 

Leur bonheur était affaire de bouts.

Il n’y a pas d’âme. Nous sommes les maîtres de la réalité. Nous dominons le monde à condition de percevoir sa partie la plus rapprochée : Notre personne subjective. Le soi de soi, cet équilibre ou cette tige qui tient en équilibre, qui ne peut tenir en équilibre que sur l’extrémité d’une pratique aimante des exercices de l’assouplissement des membres de la préhension du réel ou de l’espace déployé. « Vous avez des doigts d’antenne, » disait Bourbon. « Je suis Telemind, » répondait Telemind.

L’esprit se projette à distance comme une clef volante, mais sans corps saisissable. L’insaisissable oiseau aux ailes d’imagination et de mémoire. Autrefois on envoyait ses enfants à la chasse de l’être volatile, par monts et vallées, parce que c’était l’expérience la plus instructive. La chasse à l’oiseau serpentaire. Il fallait souvent des années pour que… L’enfant partait. On ne le revoyait plus. Un jour, une personne adulte paraissait au seuil de la maison… On échangeait des larmes et on lançait des fêtes grandes de joie.

Il n’y a pas d’âme personnelle. Il n’y a qu’un corps simple, indivisible, élémentaire, unique, divin. On ne peut rien enlever à l’univers. On ne peut lui ajouter rien  qui ne lui appartienne pas déjà.

Déjà.

Autour du vide le cercle danse : La Ronde. Pendant les millénaires on adorait l’oignon dont les voiles retirés un à un laissent derrière eux la révélation de l’Absence. On éleva des oignons dorés pour les surmonter d’une croix pour symboliser la victoire de l’amour sur l’absurdité relative du Néant. « Mon sauveur, » disait Bourbon. « Mon rivage. » 

« Ma vague. »

L’eau de mon eau. Ta salive mélangée à ma salive. Ton cristal accouplé au mien. La synthèse de nos élans. 

Bourbon avait des mèches blondes. Elle chassait les céramiques sauvages en dégageant des places propices à la venue de terres cuites, dans la forêt du Nord. Au Sud, de vastes déserts agissaient. Telemind originait de celui-là : Le désert électrique.

« Mon grain de riz, » chuchotait Bourbon, une main sur son ventre.



 
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[Image : Portrait du désert électrique]

vendredi 28 novembre 2008

L'AMOUR EST UNE AFFAIRE DE BOUTS




Elle lève un bras. C’est une peine. Dessus le bol du héros, la sorcière dit : « Pour toi, cadeau d’immortalité ! » et lui réplique : « Merci ! Mais c’est trop ! Pour mon bol de peines… »

Elle sourit. Miss Bourbon aux jolies mèches, la chasseuse de céramiques sauvages. Une ombre blanche. Un passé ou un sentier. La femme des Bois du Nord. Le hurlement jamais entendu d’une insectoine à fourrure verte.

Telemind superposait des blocs de résine. Il chantait : « Quand tu ne comprends rien, … » et les murs de la maison tremblaient. Dehors la nuit neigeait. En tombant les flocons obéissaient à des calculs savants.

C’est une peine lourde ou un carcan. Un dialogue intérieur comme le pont de l’identité ou de la conscience de soi. Une danse au crépuscule. Une cérémonie matinale. Un poème nocturne jeté au sol. Un mouchoir de papier. Un canon à idées recyclées. Une combinaison rare qui vous force (qui vous forçait) à revoir la réalité avec des yeux mous.

Il y a cette différence entre l’éternité et l’immortalité. Nous avons la première, mais c’est vraiment la deuxième qui nous fait baver de faim. Telemind dit à Bourbon : « Viens près de moi, petite télomérase ! » Les blocs de résine prennent le bord du matelas du lit de Telemind et de Bourbon.

L’amour est une affaire de bouts. Dans un bol bleu, des pépins s’agitaient comme par magie, certains d’eux-mêmes et de leur mission. On fera des insectes à poils pour qu’ils vivent au chaud, sans peine.


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[Image : Dans un bol bleu]

jeudi 27 novembre 2008

TELEMIND ET LES ARBRES VOLANTS




Lisant les textes d’un ami disparu, il trouva ces mots : « Lisant les textes d’un ami disparu, il trouva ces mots… »

Une veine palpitante appela jusqu’à la tempe l’index de sa main droite. La sueur mouillait son front. Il se souvint de ces repas piquants qu’il partageait autrefois avec son ami, lequel ne semblait jamais souffrir du piment. Mais il y avait cette histoire d’un plat avalé avec difficulté, dans un restaurant indien, un plat à vous brûler les lèvres. « Il était en compagnie de cette Japonaise, » se rappela le lecteur. « Celle qui… »

Dehors la nuit neigeait. Le trait d’un projecteur révélait des grands arbres qui voulaient s’envoler à la conquête du ciel. « De l’apesanteur, » songea l’homme à la veine palpitante. On l’appelait Claumand. Il ne travaillait pas.

Plus tôt il avait vu dans un tunnel une vieille femme assise et qui pliait du papier en fleurs qu’elle déposait sur une boîte de carton placée devant elle et contre un mur, devant la foule des usagers du métro dont la plupart rentraient chez eux après une journée de travail. Le visage de la femme était resté caché dans une écharpe grise de laine folle qui venait d’un mouton probablement mort depuis longtemps. Claumand pensait à son ami disparu.

« Nous sommes tous déjà morts, mais en vie devant l’éternité, » dit Claumand à voix basse. Ces mots reprenaient une formule ancienne et chère à l’ami disparu. Il s’appelait Telemind. C’était un nom horrible, mais on s’y habituait comme aux fleurs de papier et aux arbres volants, aux plats japonais de neige et aux lèvres brûlantes.

La sphère du temps bourrée d’espace tient en équilibre sur une verge éternelle. Le rayon de l’univers, divisé par la vitesse de la lumière, égale la durée du monde. L’obscurité mène le voyageur à des questions. On peut s’étonner de l’explosion d’une bombe, à l’autre bout du monde, tel matin, et mourir plus tard, en début de soirée, dans l’explosion d’une bombe arrivée sous vos pieds. « Je ne comprends pas ce que tu écris, » réfléchissait Claumand, et puis il s’endormit. Il rêva que des eaux surgissaient de son ventre et sur cette rivière son âme naviguait ; un petit bateau de papier chargé de mots, armé d’un seul canon, mais il était très lourd...



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[Image: La voie]

mardi 25 novembre 2008

L'ARAIGNEE DE L'HOMME




le ventre, organe de la respiration
garde le foie, siège de l’âme

l’amour naît dans la poitrine
le cœur est paradoxalement éclaireur et sentinelle

les épaules portent ton destin
le cou oriente ta vie

ton nez habite la bouche, entre les dents
les yeux appartiennent aux narines

ta voix descend du front
jusqu’aux joues qui soutiennent le squelette

et puis tu découvres ta troisième oreille
dans la paume de tes mains réunies

le passé reste sous tes pieds
sur tes genoux, l’avenir sautille

ah ! ces doux picotements du côté...
tu reviens au yoga



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[Image : L’araignée de lhomme]

dimanche 23 novembre 2008

NEANT DE RIEN




ayant mis pied à terre
la raison me vient
la connaissance de soi :
« Je suis de l’eau. »

l’onde construit un bateau
vogue sur la rivière
par les deltas
par la mer

un vaisseau ou une âme
cette coque est ailleurs
nous la pondons demain
là quand la terre loin d’ici…

l’insubmersible projection
de l’eau arrachée à elle-même
elle a des pensées d’eau, la vague
elle implore : « Sauve-moi du rivage ! »

navire que j’ai rebaptisé Néant de Rien
pour le monde, l’expression d’une vérité
et il flotte, le vide sur le vide
surgissant gracieusement de l’abyme



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[Image : Méditant sur le quai]



extra:

Les termites traceurs
Traversent le bois du monde
Pour ouvrir ces galleries
Où ma chérie et moi buvons
L’un derrière l’autre
Invariablement
Nos éclats filants, liants
Spectres d’amour

...des mémoires d'eau

vendredi 21 novembre 2008

LE PANIER A ROUES



c’est une grande place, en Russie
où viennent les commerçants et leurs clients
j’achète une table en contreplaqué

il neige une grisaille pure
j’avance sur la trace des pneus

à l’orée du bois : Surprise !
le fantôme d’un loup ?
non ! C’est un panier à roues

il est vide
le monde tourne autour de lui



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[Image : Carrosse]

TOUTE LAIDEUR EST DISPARUE




cette nuit est la pièce vide
où toi et moi nous rencontrons
pour nous parler du dernier jour
quand nous étions encore des inconnus

c’était aujourd’hui la première neige
la bourrasque ralentit mon pas
mais je ne crains plus de traîner en chemin
depuis que j’ai trouvé la voie

tu es ici
toute laideur est disparue
les créatures humaines tombent
comme des flocons de soleil après minuit



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[Image : Nourrir le feu en prévision du froid]

mardi 18 novembre 2008

EMBARCATIONS PARALLELES




la traversée matinale du grand pont de pierre
t’amène à passer devant la haute cathédrale
comme les eaux turbides de la rivière
t’invitent à plonger en toi-même

depuis toujours les rives ou tes reins
contiennent ou mènent ton courant

mais tu quittes enfin les flots
pour jeter ce pont sur ton passé
et demain tu monteras à bord d’un bateau
ou tu marcheras sur l’eau

l’objet de tes désirs existe
et tu le sais !



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[Image : La Moskova devant chez moi]

lundi 17 novembre 2008

SUR LA RIVE




assis pour rien depuis qu’il n’écrit plus ;
ses nuits sont vides de sens


et puis on lui raconte cette histoire

d’ivrognes jetant des ivrognes à la rivière


alors son thé lui fait horreur—
le goût de l’eau de la Moskova
!

mais il avale une gorgée
...
encore une autre



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Image: Fleur de drap