lundi 26 février 2007

TAZZA E GRENATA


…à quoi penses-tu quand tu prépares le
café? Chaque matin, à quoi penses-tu? Tu
verses le bouillant liquide dans ta tasse favorite. C’est
fait. Maintenant, à quoi penses-tu?

dans son ouvrage intitulé PLUS QUE LES
HOMMES et publié en 1963,
Gustave Noyon écrit: “La vie ne sert à rien, mais
chaque matin est une nouvelle chance (page 3). Pourquoi cette
chemise? Maudits
pantalons. Aujourd’hui encore je devrai souffrir des
inconnus, parmi lesquels cet énervant Fahlombey qui ne
sent pas bon (p. 20). Je suis un singe
nerveux. Qu’on me donne quelque part dans les Pouilles un trou d’eau à
garder. Une chèvre à soigner. Des pétales de rose à mâchouiller. On
dit que c’est tonique pour le cerveau (p. 31). L’esprit est grenadier, la
pensée une grenade (p. 55). Il me faudrait un fouet pour éduquer les
imbéciles qui vident leurs sots par la fenêtre sans égard pour
l’honnête passant (p.56)”

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[Image: Gobelet à anse par reading_is_dangerous]

café libère
les bons et mauvais esprits
entassés de nuit

dimanche 25 février 2007

LA THEORIE DU DR. BARABO


il apporte sur plage une électrique guitare qu’il
caresse sachant que bientôt va se produire un
phénomène rare, incompréhensible, beau et merveilleux

il joue. L’oreille
aucun son
ne perçoit
puisque l’instrument n’est
pas branché à l’électrique courant, pourtant le guitariste, lui, est
branché aux courants marins, lesquels résonnent à l’intérieur de
nous depuis que nous avons quitté la mer voilà cent millions d’années

il joue, mais si l’oreille
n’entend rien, la mer, une vague embrasse
l’invisible musique. Un bras alors se lève, un bras
de mer, une vague de force
qui cherche un couteau, une épée pour couper le monde en
deux. “C’est une théorie” intervient le Dr. Barabo. “Mais j’en ai
une autre. Selon moi, ce bras espère se saisir de l’assemblage
parfaitement éphémère des courbes d’une femme d’eau
sal
ée

que dit le musicien? il se tait. Il joue de sa
guitare

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[Image: Bras d’eau #28 par reading_is_dangerous]

la vaguelette
veut dire quelque chose
que tu ne sais pas

samedi 24 février 2007

MES YEUX OUVERTS


aujourd’hui, c’est extraordinaire
je me lève à cinq heures trente de l’après-midi, un
record. Voyant qu’il neige, mais je n’en suis pas sûr, c’est en
examinant les feuilles cuivrées des platanes de devant
mon balcon que je peux établir en toute certitude
qu’il neige vraiment. Le thermercuromètre est
à plus deux

en bas, je vois un parapluie rose
des figures vêtues de noir
…c’est alors que je me souviens du concert qu’on donné
ce matin des corneilles, des choucas, vers sept heures
ces oiseaux par dizaines se rassemblent sur l’un des
platanes, toujours le même, noirs oiseaux
dont la pensée n’est sans doute pas si
loin de la nôtre, il ne manque qu’un
pont, un peu d’imagination pour
faire la traversée, je croah, je croah, croah
croah croaaaah
qu’elles se comptent et recomptent
chanceuses d’avoir survécu à l’hiver
“ce nid est à nous” dit cette paire
“l’arbre là-bas est à nous” dit cette autre paire
“nous sommes ici, nous sommes ici” répète en
coeur la nuée

noire nuée, clair matin, tardif éveil
mes yeux d’abord se sont portés sur un tableau au sein duquel j’ai
cru voir un singe gluant sur l’épaule d’une fille
“Je suis un ver” dit le primate, et sa fourrure tombe
son ventre prend une couleur blafarde, sa tête disparaît
“Je suis un collier de perles” dit le ver qui se referme sur mon
cou. J’étouffe, j’étouffe, la peau de mon visage passant par
l’écarlate vire finalement au gris. Mes yeux
ouverts, c’est une aubaine pour
mesdames les corneilles et messieurs les choucas

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[Image: Nid d’un an par reading_is_dangerous (24 fév. 2007)]

sur un seul arbre
sous un ciel indifférent
l'oiseau reviendra

vendredi 23 février 2007

EN CROIX UNE SINGESSE


“…le monde est tel qu’il est parce qu’il ne peut pas être
autrement” écrit banalement Gustave Noyon dans un essai intitulé PLUS
QUE LES HOMMES, publié aux éditions Gruyter en 1963. “C’est exactement
l’envers du vide que nous découvrons autour de nous. Une mazurka de Chopin
fait l’envers du silence. Le parfum de cette poire qui s’effondre sur la table, c’est
l’inverse du néant hivernal et sans odeur.”

ce matin, j’ai rêvé que j’étais un grand chien noir qui s’évaporait sous un soleil gras. Des
jeunes femmes dansaient tandis que des bulles leur sortaient du nez. Il faut tenter
l’expérience de dévorer un pamplemousse en pleine nuit, sans faire attention au
palais qui réclame du poulet rôti ou du saucisson en rondelles. Je voudrais
monter sur un char pour traverser la ville en hurlant qu’on m’apporte
une lune de haricots, une assiette vivante, inquiète, tourmentée, un
lichen qui pousse en croix, une singesse pour neutraliser un
général

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[Image: Rosette par reading_is_dangerous]

des bulles vertes
des hommes de pierre--
jolie Rosette

FIN DE CAGNINLUC


on ne l’aimait guère ce
pauvre Luc Cagnin que ses nouveaux collègues appelaient cagninluc, qu’on
avait surnommé le “Matinal” parce qu’il dormait entre six heures et
midi, qui n’avait pas encore reçu sa première paye, qui s’inquiétait du
contrat qu’on ne lui avait pas fait signer, qui regrettait de ne pas avoir
fait connaissance avec son équipe, qui avait néanmoins apprit le
prénom d’un type, le nommé Dauphin au regard étrangement
expressif malgr
é son calme sous-marin, cet
homme, Dauphin, Luc Cagnin avait
tenté de lui vendre des papillons rares aux ailes
incarnat, lui promettant que ces insectes placés sous
verre quelque part dans la chambre à coucher pouvaient
inspirer aux dormeurs des rêves chocolatés “comme nous en avons tous
bien besoin étant donné les horreurs qu’on nous fait à nous, les
gens du peuple à qui l’on vole son argent pour donner de l’or
aux marchands de canons dont les crachats
défigurent nos enfants” -c’est que qu’il répétait-ce
pauvre Cagnin est mort aujourd’hui, je ne
me souviens plus de quoi

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[Image: Fin de cagninluc par reading_is_dangerous]

fleur écarlate-
dans le dos du mourrant
passe une ombre

mercredi 21 février 2007

CAGNINLUC ET L’HORREUR PARASITE


autrefois je voyageais, raconte Cagninluc Matinal à
son collègue de bureau, un nommé Dauphin. Au
Centralistan, en quatre-vingt treize, on me fit découvrir les
plaisirs de la brochette d’agneau. La viande, des bouchées
minuscules, était d’abord trempée dans une sauce piquante
ou vinaigrée, puis grillée sur le feu. Une fois cuite, on
l’enveloppait dans les pages d’un texte sur les mathématiques ou
la fabrication en série des roquettes, transformant ce qui n’était
qu’un simple amuse-gueule en un repas réserv
é d’habitude aux
étudiants destinés à une carrière rémunératrice au sein du
complexe militaro-industriel, ce monstre à
mille têtes, cette horreur parasite, cette
bave humaine qui nous vole notre
argent pour fabriquer des armes et exploser
nos enfants

-Mais qu’est-ce que c’est que ce délire? demanda Dauphin. Dans son oeil brillait une
perle d’angoisse

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[Image: Complexe militaro-industriel par reading_is_dangerous]

largent des taxes
lor des marchands de canons;
lun donne l'autre

mardi 20 février 2007

LA FORET BLAH


...d’énormes araignées m’ont déconcentré. Je n’ai pas terminé
le poème sur lequel je travaillais aujourd’hui. J’écris trop
lentement; c’est clair. C
est sombre. Il faudra que j’accélère, que je fasse
plus aéré, plus libre, moins compliqué, moins lourd, mais
pas ce soir, pas cette nuit, pas ce matin

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[Image: La forêt Blah par reading_is_dangerous]

ces étranges bois
où je m’égare parfois--
faut-il tout couper?

lundi 19 février 2007

LA PLUS IMMENSE PARTICULE ELEMENTAIRE


Impossible de couper l’Univers en deux. J’en déduis que la particule
élémentaire tant recherchée par nos scientifiques est en fait
l’Univers lui-même en entier. Un seul corps, donc une seule âme. Cette unique Chose
contient en elle tous les mondes parallèles, toutes les avenues du Temps. La plus
immense particule
élémentaire dans ses plis et replis paraît ainsi formée d’une infinité
de particules distinctes, parmi lesquelles certaines rassembl
ées me font un nez, un orteil, un
genou, un trou de mémoire--je me souviens d’hier, mais je
ne peux jamais qu’imaginer demain


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[Image: Ronde façade par reading_is_dangerous (f
év. 6, 2007, au lac Sevan)]

le cercle parfait
résiste à la lame
intérieure

samedi 17 février 2007

CAGNINLUC MATINAL ET PAPILLONS


peu de gens dorment régulièrement entre six heures du matin et
midi. J’ai donc jeté mon dévolu sur cette réserve de sommeil
matinal, lequel me semble donc plus riche, plus gras, plus
onctueux, meilleur au goût, car si vous ne le saviez pas les
différents types de sommeil ont chacun leur goût, plus
blanc, plus rouge, plus sec, plus fruité, plus cerisier, plus
mandarine, plus anguille, etc. Je travaille donc en après-midi
ainsi qu’en début de soirée, à des heures pendant lesquelles on
travaille moins, ce qui m’assure une efficacité, un
plaisir, une énergie sup
érieures à celles que j’aurais bossant aux
mêmes heures que toute la ville. Mon travail goûte la farine et l’oeuf,
je veux dire les nouilles, de bonnes nouilles plates aux beurre à l’ail frais--de l
ail
tiré d’un jardin extraordinaire où quelque maigre soleil et
un peu de
pluie sauvage
suffisent pour que tout y pousse. Des papillons rares y viennent même en
hiver, leurs ailes satinées aux délicats incarnats
me donnent des frissons

…achète-moi trois papillons, dis-je à Dauphin, l’un de mes
collègue au boulot. Gard
és dans une boîte de verre placée sur la table de ta
chambre à coucher, ces créatures vont te suggérer des songes
chocolatés. D’accord, accepta Dauphin

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[Image: Songe chocolaté par reading_is_dangerous]

bulles obscures
et courbes lumineuses:
voici la femme

jeudi 15 février 2007

RAT MANGE


dans la cour
ils vivent des chats
une vingtaine de chats, minettes, matous

or j’ai vu un rat

assis
dans la neige, le rat était assis
qui regardait passer les chats
comme si de rien n’était

gros rat en plein jour
philosophait

…la chatte qui braille tous les jours devant ma porte
passa devant le petit maître
qui tranquillement rentra chez lui
(c’est sous un tas de briques)

“si t’es un chat,”
me suis-je dis, “t’as peut-être pas
envie de te battre avec un rat
pour l’étripper
pour lui bouffer le foie
son foie de raton.”

qui sait? au rat de rue, les chats préfèrent sans doute
la pizza, les croquettes pour minou, le
thon en boîte, les hamburgers, la crème
fraîche, le foie de morue

gros rat qui vit dans la cour
à l’entrée de sa caverne, je lui ai laissé
un bon morceau de gruyère

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[Image: ...au dernier instant, Bertha releva la tête par reading_is_dangerous (Jan. 18, 2007)]

les griffes noires;
j’ai vu près d’une niche
des rats déchirés

lundi 12 février 2007

CAGNINLUC ET L’OEIL DE DAUPHIN


“Monsieur Cagnin, Luc
Cagnin? Venez par ici, je vous prie.” On
m’offrait enfin du travail. Une grande fille à moitié blonde
m’invita à passer dans une pièce surchauffée où quelques
personnes travaillaient chacune devant l’écran d’un ordinateur. Il
y avait une place de libre. “Vous vous installez là” me dit la fille, pointant
du doigt cette place. L’idée de lui
mordre le doigt me passa fugitivement par la tête.

“Voici votre mot de passe” dit la fille en me
transmettant un bout de papier jaune. “Votre nom
d’usager, c’est cagninluc” dit-elle encore. “Cagninluc” répétai-je
hypnotisé. Tout cela me semblait bizarre. Allait trop vite. “Activez
votre profil pour voir…” fit la fille.
-Ça marche, déclarai-je après une minute.
-Très bien, dit la demi-blonde. Alors, bonne chance! et si vous
avez besoin de moi, écrivez à garabagnealice.
-Garabagnealice, répétai-je comme je l’avais fait pour mon nom.
-C’est bien cela, dit-elle en quittant les lieux.

Elle avait n
égligé de me présenter à mes nouveaux collègues. Ils
étaient cinq, trois hommes et deux femmes qui
pianotaient chacun sur son clavier, et qui cliquaient de la souris sans
paraître de s’intéresser à moi. Allais-je bientôt
leur ressembler? La question
était question superflue. La preuve, c’est
qu’après le départ de garabagnealice, je ne me souvenais
plus de son visage.

-Merde! m’exclamai-je. Elle a oublié de me faire
signer un contrat.
-Ce n’est pas nécessaire, m’expliqua un homme
assis à ma droite. Pas avant la première paye.

Il me regardait d’un oeil vert
qui évoquait une vague, une mer habitée par une sauvage
tristesse. “Je m’appelle Dauphin” dit-il avant de se
retourner.

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[Image: Créature marine par reading_is_dangerous]

début de roman
un parmi tant d'autres, oh!
recommencements

dimanche 11 février 2007

LE SECRET


on comprend qu’il paraisse impossible de deviner ou d’apprendre à
quoi songe une pierre, un granite banal, une serpentine rare, un marbre
finement sculpté, magnifique, troublant, désirable, mais
peu importe puisque la pensée de type minéral et celles des êtres de
chair ne peuvent en aucun cas se rejoindre, du moins, c’est l’hypothèse la
plus vraissemblable. Comment pourrait-il en être autrement? puisque la
pierre ne dépend de rien, tandis que nous, pauvres créatures
interdépendantes, jetées par la vie dans un réseau d’énergie
comprimée, nous dépendons de tout. Or, voici que je voulais
vraiment vous dire, il existe une façon, une manière
de partager avec les pierres une joie véritable, extraordinaire, à
condition d’y mettre le temps nécessaire. Par exemple, moi, j’ai passé
douze années de ma vie à entrer en contact avec un seul et minuscule
caillou... fort aimable caillou, je peux le dire, mais ce qu’il m’a dit, son
secret, j’ai promis de ne pas le répéter

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[Image: Khachkar au cimetière de Noradours par reading_is_dangerous (f
év. 6, 2007)]

la pierre debout
la neige sous mes cent pas
rêvent au ciel

samedi 10 février 2007

PENDANT UN SOLEIL GRAS


dérive en radeau. Un
boulevard verdu mène à des potagers spon
tanés où ronflent des loups, des loups-
cigognes qui depuis longtemps ont remplacés les moutons-
grenouilles de leurs anciens festins contre des hommes-
couillons que bercent d’infâmes musiques trouées, des
musiques absentes, des mélodies de caves, des mélodies
jambon

ce qui nous restait de biscuit-steak, nous l’avons
mangé à la manière gentille des rats. Ce que nous avions d’eau, nous
l’avons bu comme les amants assoiffés pleurent l’un sur
l’autre pendant un soleil gras. Quand
l’esprit coupe
quand le ciel verse
quand le ventre éclate
quand le souffle mord
quand ça
débloque, alors
je tombe du radeau. Heureusement je sais l’art de la
nage, à six ans

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[Image: En mer par reading_is_dangerous]

vrilles terribles
des courbes carnivores--
sous-marin coule

vendredi 9 février 2007

L'ART DE LA NAGE



la Terre autrefois sans limite
invitait les voyageurs à découvrir des pays
incroyables, habit
és par des hommes à trois
poumons, des femmes sans dos, des papillons de
quatre tonnes, et ainsi de suite.
Aujourd’hui, avec l’ordinateur
qui sait tout, qui remet debout ce qu
’on croyait perdu, qui vous
parle jusque sous la douche, le poète peine à surprendre son auditoire, lequel
a déjà vu
même des carrés d’herbes pratiquant la valse sur
Pluton

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[Image: L’art de la nage par reading_is_dangerous (6 février 2007)]

un arbre dans l’eau--
la caresse du soleil
n'aide en rien

lundi 5 février 2007

LE CHANT DE LA FEMME-BALEINE


Baboa riait. De tout il aurait rit
à moins qu’on ne l’eut invité à signer son nom en
bas d’un contrat signifiant des
millions. Il
riait, il riait quand on lui parlait de la lumière du jour ou
du goût formidable d’un fruit si rare qu’il lui était encore inconnu, à
lui, Baboa qui avait pourtant beaucoup
voyagé. Il riait comme l’enfant né l’an dernier. Il riait comme une brute
paralysée par la faim, qui n'aurait pas su quitter la caverne humide où elle se
tiendrait cach
ée depuis qu’on lui ferait la chasse. Baboa riait
comme la hyène rousse lorsqu’elle sent venir la mort des kilomètres à l’avance, dix
ans, vingt ans, trente ans à l’avance. C’
était une sorte de cynisme indestructible
qui avait envahi Baboa, il se trouvait v
éritablement enfermé dans une chambre
sans porte ni fenêtre, où même une fourmi obstinée
n’aurait su y trouver une issue. Baboa riait, clown
triste quand il se démaquillait, c’était peut-être
la dix millième fois? Se démaquillant, il songeait
que le temps était venu de partir (mais où partir?) quand il aperçu son écoeurant
patron, le directeur du cirque Viva Vita! venu lui dire d’une voix
chocolatée qu’il faudrait sans doute que Baboa apporte
quelques modifications à son numéro, histoire de le rendre plus interactif. Pauvre
clown, il savait bien que protester ne servirait à rien. Il modifia
sn numéro en vain puisqu’on le vira un matin quand il
ne s’y attendait pas. On le vira

“Tiens,” se dit Baboa, “il a neigé cette nuit”. Il lui restait à
rassembler ses affaires, notamment quelques vêtements sur une corde tendue
entre sa roulotte et celle de la femme-baleine. Trouvant son linge, il prit
des pinces de bois. “Non, elles ne sont pas à moi” se dit Baboa, mais
les examinant, il d
écouvre sur l’une d’elles un mot gravé, une
vérité, une explication au mystère de la vie, une raison de vivre qui
aurait aussi bien pu être une raison de ne plus continuer à vivre. Soudainement
Baboa voit clair. Il rit. En riant, il s’écroule, il tombe dans une neige molle qui
l’accueille. Il fait froid. Il fait chaud. Il fait tout ce que Baboa désire. La
vie ressemble enfin à ce qu’il espérait d’elle. Eprouvant pour la première fois un
réel bonheur Baboa s’en va

…le chant de la femme-baleine qui trouva dans la neige son voisin foudroyé
attira une foule
telle que le directeur du cirque Viva Vita! eut l'idée géniale d'en faire
un nouveau num
éro. Depuis ce jour, elle chante

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[Image: Vous et moi par reading_is_dangerous (Jan 18, 2007)]

crochets fatigués;
entre deux noeuds le court fil
à ne pas lâcher

samedi 3 février 2007

LITTORAL


durant la journée
assis en quelque lieu ordinaire
je m’occupe de mes affaires
je vis…
je vis…

quand la fatigue me gagne
je glisse doucement vers un bord…

finalement, je vais au lit
et plonge
dans une mer onirique où je rejoins des créatures
extraordinaires de perspicacité
qui me conseillent sur la conduite de ma vie

-Les verriez-vous! Ce sont des monstres
des tentacules munis de yeux
des yeux munis de bouches
des bouches aux lèvres comme des plages
qui me disent: une nuit, nous quitterons
nos profondeurs
tu nous verras debouts
explorant les frontières de l'
éveil, ton littoral

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[Image: Cela par reading_is_dangerous]

…pour un ami qui m’a invité à écrire un poème en cent mots sur le thème du littoral pour un cabaret littéraire (les Auteurs du Dimanche).

chose inconnue
ballet océanique
un enfant rêve

vendredi 2 février 2007

DISPARITION


elle avait mal
ses gémissements m’inquiétaient mais
je ressentais surtout une vive déception. Hier
soir, je lui avais donné rendez-vous
en dépit du danger
qu’il y avait à se rencontrer en raison des vents
armés, des mouvements de colère, vous savez bien qu’on
saisit encore les passants pour les jeter dans la rue
au passage des voitures

elle avait mal. Ne serait-ce qu’un doigt, n’importe
lequel, l’oriculaire, un orteil aurait suffit; je l’aurais
pressé, pincé, massé. De sa douleur, j’aurais cuisiné une
sorte de boudin, un boudin d’un an, de deux ans, de trois
ans. C’est un art difficile que les concierges au repos pratiquent
encore. Ils appellent ça le supplice de l’entoura. On dit
que ça vous prend d’abord comme une grande angoisse, un
sentiment d’infortune, une honte, aussi, une honte toute
molle, mais empoisonnée, façon méduse-quand la méduse
vous attrape, il faut lui empoigner cette chose étrange
qu’elle a à la place du coeur, et serrer

elle avait mal aux extrémités. On dit que ça vient de la hyène. D’ailleurs,
ces animaux restent soupsonneux même quand un miracle parvient à
défaire sous leurs yeux incrédules un noeud réputé impossible à
dénouer. C’est comme ces ampoules qui quittent l’arbre de leur
naissance. Elles savent que leur existance éphémère n’est qu’une
brève pause dans leur inexistance beaucoup plus vaste et générale

“J’ai mal,” disait-elle, “mais ça ne me suffit pas de le dire.” Elle se voyait
incapable de trouver les mots pour en parler, de son mal, pour en parler
avec davantage de précision. “Vous pensez que je déraille,”
expliquait-elle, “mais si vous ne comprenez rien, cela ne veut pas dire
que je fais semblant. Je ne cache rien.”

Elle ne cachait rien. Elle avait mal. Une pierre, un marteau, une flûte
enchantée pourrait briser le sortilège qui la tient, mais elle a
disparu, cette

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[Image: Oil Dog par reading_is_dangerous]

âme immense,
enveloppe fragile--
douleurs inouïes

jeudi 1 février 2007

PLANCHE


Elle préparait des poissons pour le dîner. “Malheur !” dit
une truite. La cuisinière lui
coupa la tête. “Malheur ! Oh ! terrible malheur !” dit un second poisson. La
femme lui caressa l’oeil, puis elle toucha sa chair rose, pleine, douce,
humide. Elle lui gratta la queue. L’air était jaune.

Elle imagina une grande flaque d’eau où habitait des carpes, où
tournait des esturgeons, des saumons parachutés, des escargots perdus, des
têtes égarées. Cette foule aquatique, la cuisinière rêvassante la nourrissait
matin et soir. En après-midi, elle recevait des célébrités de
notre temps, des personnes aperçues à la télévision, dans les films, les
journaux, les illustrés; sur Internet. “Tout le monde mangera
des céréales de blé entier,” songeait la femme, “et celles et ceux qui
n’en mangeront pas assez, on leur tranchera le cou
avant les autres.”

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[Image: Cuisine par reading_is_dangerous]

pupille noire
du poisson sur la planche;
un goût d’au-delà