vendredi 3 août 2007

QUAND SANNA TOMBE


la jolie Sanna tombe du balcon de sa chambre de jeune fille, et
Survit inexplicablement à une chute de trente mètres, mais il
Semble impossible de la tirer du profond coma qui s’en suit

l’accident survient de nuit, tandis que
Tout le monde dort sauf l’oncle de Sanna, Eibho, qui
Termine une chronique pour un journal exotérique, Le Cercle Vivant

« …déplorable époque que la nôtre, » écrit l’oncle, « qui
Détourne les mots ou détruit leur sens. Depuis qu’elle a du mal à
Décrire son quotidien, notre génération souffre d’une disette d’idées. »

« en outre, des dispositions privatives accordent l’usage exclusif de certaines
Formules à des personnes particulières ou au monde des affaires, ce qui
Force au silence bien des dissidences d’opinions. »

« la réalité se tient désormais à l’arrière-plan, pendant que
Devant elle on dresse le décor spectaculaire des
Discours fallacieux, mais qui nous hypnotisent. »

ayant écrit ces mots, oncle Eibho pose son stylo
Il croit entendre le hennissement d’un cheval, mais le son donne l’
Impression de venir d’en haut

or, la chambre du chroniqueur se situe au neuvième étage d’une
Demeure qui en compte dix ; au
Dixième habitent les parents de Sanna, son frère et ses deux sœurs

l’oncle accuse la faim de lui jouer un mauvais tour
Il faut dire qu’il ne mange qu’une fois par jour,
Invariablement un bol de soupe

l’oncle décide de prendre son repas
D’autant que s’il ne le prenait pas, quelqu’un
D’autre, dans cette grande maison, lui volerait demain sa part

car on a toujours faim dans cette famille dont le patriarche, qui est le
Père de la mère de Sanna, ne tolère
Pas qu’on dépense librement pour de la nourriture

« malefaim bonifie » répète le vieillard
Dès qu’on suggère qu’une révision du budget familial serait peut-être
Désirable

le vieux, Diorite de son prénom, est un
Ancien édile de Fang Ta, la capitale lomelomaise ; chargé des
Approvisionnements, on le connaissait pour sa rigueur inébranlable

oncle Eibho n’est pour le vieux Diorite qu’un frère du mari
De sa fille, la lucide Sylva, mère de Sanna
D’autre part l’ancien édile déteste les journalistes

mais revenons à notre histoire ! Lorsque le chroniqueur affamé
Quitte sa table de travail pour prendre son repas, il entend un cri
Qui lui déchausse presque les dents

regardant par sa fenêtre, il aperçoit sa nièce qui tombe
« DIABLE ! Sanna ! » dit l’oncle, qui s’élance ensuite
Dans les escaliers

lorsqu’il arrive en bas
Toute la maisonnée est déjà réveillée, et
Toutefois elle ne sait pas pourquoi

oncle Eibho seul sait, encore qu’il refuse
De croire à ce que ses yeux ont vu jusqu’à ce qu’il
Découvre dans la rue le corps apparemment inanimé de Sanna

« mon Dieu ! Sanna ! » dit l’oncle, qui se jette ensuite
Aux pieds de sa nièce qu’il a la veille portée lui-même jusqu’
À son lit de jeune fille ; nous l’avons raconté plus tôt

mais Sanna, bien qu’inconsciente, n’est pas morte
Du sang : il n’y en a pas
Des blessures : oncle Eibho n’en voit pas

on dirait même que la victime ne s’est pas brisé un os
Le chroniqueur porte une main tremblante vers
Le visage de sa nièce. . .

« miracle ! Elle vit ! » dit l’oncle qui sent le souffle
De Sanna sur le
Dos de sa main

oncle Eibho prend la jeune femme dans ses bras
Il veut immédiatement la transporter de nouveau jusqu’à sa chambre
Il va le faire lui-même, et tant pis s’il n’y a pas d’ascenseur !

mais à ce moment, il est entouré par
Des contremaîtres, des lainières (les gens de la famille de Sylva)
Des cousins et des cousines... Tout le monde est là, même le vieux Diorite !

« qu’est-ce que cet oiseau fait ici ? » se demande l’oncle Eibho
Qui vient d’apercevoir un volatile au long bec
Qui se tenait immobile à ses côtés, mais qui s’envole à l’arrivée de la foule

« le journaliste ! » dit le vieux Diorite, « Que fait-il avec Sanna
Dans ses bras, au milieu de la nuit,
Dans la rue ? »

oncle Eibho, qui n’a toujours pas mangé, qui vient de descendre neuf
Étages à la course, et qui croyait que sa nièce
Était morte, mais qui l’a trouvée vivante… le brave Eibho manque de s’évanouir

« elle est tombée. » dit le chroniqueur
« Diantre ! Tombée ? » dit l’ancien édile
« Diantre ! Tombée ? » répètent en cœur les contremaîtres, les lainières

« elle est tombée du balcon. » dit le chroniqueur
« Dans ce cas, est-elle morte ? » demande l’ancien édile
« Est-elle morte ? » demande le cœur des contremaîtres, des lainières

« Je crois que non. » dit le chroniqueur
« Diablerie que tout ça ! » dit l’ancien édile
« Diablerie ! » répète le cœur des contremaîtres, des lainières

oncle Eibho porte sa nièce inconsciente jusqu’au quatrième étage
Le frère de Sanna, Kanzhi, la porte jusqu’au septième
Leur père, le doux Mozhi, porte sa fille jusque dans son lit

l’oiseau au long bec, entré mystérieusement dans la chambre, se pose
Dans la main gauche de Sanna qui ouvre alors les yeux pour
Dire : « Broyer du vent. » avant de plonger dans un profond coma



(à suivre)


lisez le premier épisode de ce récit!


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[Image : Quand Sanna tombe par reading_is_dangerous]

5 commentaires:

  1. Grandiose pièce.

    Le théatre s'ouvre sur Actes non manqués et trés réussis,
    pour ma part je trouve.
    Oui j'aime vraiment,
    plus l'histoire se dénoue,
    mais on reste toujours sur l'interrogation, comment cela va t-il s'enchainer, personne n'en sait rien et c'est ce qui est bien;
    L'effet de surprise.

    Voila donc pour "Broyer du vent"
    Sanna.... elle est rentrée dans un trou noir peut-être.

    A+ reading,
    bonne continuation

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  2. Cette histoire tombe rudement bien du début à la fin. Les rebondissements s'accumulent dans le vent, aux quatre coins du désert ainsi que dans ma pauvre cervelle qui jongle désespérément à une solution envers cette énigme-érigme thaïlo-instrumentale-lamelonaise-de-résine-antisynthèse... Heu.

    Sanna tombe dans le coma, du dixième étage et survit malgré tout! Elle trouve même la force de nous révéler un bout de son mystère: « Broyer du vent... »

    Vivement que notre bon chroniqueur, l'oncle eibho, gobe un bol de soupe d'insomniaque et qu'il torde le cou par ses mots de journal de papier ainsi qu'à l'aide de la cordelette dorée de l'entortillonnette car...

    eibho, c'est du sérieux...

    leurre est dramatique!

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  3. Let me start commenting on your art work for it
    tugs at my eye even before I could read your sequel:

    The colors are so light
    they illuminate the page

    There is a double image of someone
    Is that you with the gold eye and silver eyelids?

    I see order in the chaos
    And everything connected by some kind of light
    emanating from the head of one of the clones

    Intriguing codes
    embedded in your art
    (Your works deserve to be in a top-rated
    art museum)

    ===
    Your story:
    Oh no! Sanna falls but (thank god) survives
    She must have had some sort of wings
    or she must have been capable of using
    air resistance to cushion the impact of the fall

    But she is in a comma
    And the bird... seems to know something

    ===
    I wonder what
    "to crush wind" means

    ===
    Uncle Eibho writes interesting
    comments about "evil in words," about the "shortage of ideas," and "fallacious speeches that hypnotize us..."

    ===
    There it is again:
    the carrying of Sanna by three different
    people to several flights of stairs, and this
    time, it is her father who carries her to her bed

    (no elevator, I know, but there must be
    some significance to this "carrying of Sanna"
    by several people)

    ===
    Uncle Eibho eats once a day
    (The less food is in the stomach
    the sharper is the mind)

    ===
    I was breathless reading the story!
    I an looking forward to more!


    Splendid!
    ~E.

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  4. Superbe dessin, on plane avec elle. Ou est-ce le coma qui nous envahit?

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  5. Vent
    Vent
    Vent de collisionneur de « oui » et de « non »

    Oui
    Oui
    Oui à cette attente poétique de moulins à mots

    Je pense à Beckett, à Ionesco...

    Non
    Non
    Non! Absolue vacuité sur ces élans d'absurderies aqueuses et lumineuses

    Bravo
    Bravo
    Bravo pour cet élan qui fait des ronds dans l'eau du désert de cette histoire

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