lundi 8 septembre 2008

JE NE PEUX LIRE QU'EN ECRIVANT



Je prends la ville de Moscou. Les distributrices automatiques de journaux, dans le métro. Les rampes des escaliers mécaniques qui descendent à des centaines de mètres sous terre. Ceux qui montent voisinent ceux qui descendent. On a donc la joie de voir de près des milliers de visages qui passent devant soi, à quelques mètres de distance, mais ce ne sont pas des moments qui durent.

Je prends ces maisons aux murs peints de couleurs tendres. Je prends ces façades recouvertes de panneaux publicitaires immenses, aux visages, encore des visages, de grands frères et de grandes sœurs en beauté. Les sourires disent le bonheur de ces gens qui savent nager dans leur baignoire ou qui ont la réussite collée au corps, comme un aileron.

Elles sont des requins, la nuit, qui tournent autour des hommes en cravates, sans s’intéresser beaucoup à moi: Le mal rasé, qui va à pied, empruntant le métro. Les requines vous disent leur prix, c’est pour la nuit. « Elle commence quand, la nuit ? » ai-je demandé. « Tout de suite, mon choux ! » dit le poisson. Je vis heureusement sans cravate.

Je mange ici des fruits de mer, sushi, sashimi, et les filets de saumon. Je ne touche ni aux poulets ni aux œufs, et j’essaie d’éviter les autres viandes, et les produits laitiers, sauf le fromage, mais le pain, j’en mangerais s’il y en avait du bon. Il y a le noir, petit, qui sent bon, que j’aime bien. Je fais mes provisions au marché du coin, en parcourant les allées jusqu’à la section fruits et légumes où je prends invariablement des tomates et des poires, un citron, des champignons, une laitue…

Une bouteille de vin. La vodka règne ici, au travail, de semaine en semaine. Une bouteille ne me fait pas peur, mais la deuxième, oui. On me dit toujours que j’ai choisi la mauvaise bouteille, la petite. Il faut la grande, une deuxième grande, ou du cognac. Il me rappelle l’Arménie.

Le samedi, le dimanche, je me repose en faisant rien. Je joue avec les mouches. J’attends la venue du soleil: Il tombe devant moi. C’est un spectacle émouvant que la disparition du soleil après une journée passée à l’intérieur de sa maison. Le soleil s’en va, et avec lui, le jour, une journée.

Les journées n’apportent guère que d’autres jours.

Je dors souvent sur le canapé, mais au milieu de la nuit, je me lève pour aller au lit. D’une façon bizarre, je me réveille chaque matin, à huit heures seize minutes, sans l’aide d’un cadran réveil ou d’un rayon de soleil. Ce n’est pas non plus les aboiements d’un chien abandonné à son sort qui me réveillent ; autrement dit, j’ignore la raison secrète de ce petit miracle, mais l’important est que j’arrive à l’heure ou presque à mon bureau. On s’en souviendra : Je n’avais plus travaillé depuis quatre ou cinq ans.

Le bureau est au premier étage d’une maison située sur cette rue nommée La Dernière rue. Ce n’est pas loin de la Rue du Tuyau, pas loin du Boulevard Fleuri. Je marche rarement au hasard, par que j’ai fait l’acquisition d’une carte en forme de livret, très pratique, pour une fraction du bidule électronique qui indique votre position exacte et les virages à ne pas manquer pour arriver chez soi. Ce bidule-machin jouit ici d’une grande popularité, surtout auprès des automobilistes.

Je suis piéton, et ça me va bien, et sans doute que ça m’ira encore mieux en hiver, quand la neige réduit la rue à un sentier étroit, et que la glace tombe du pare-brise sur votre nez.

J’ai vu un chien philosophe, l’autre jour, qui s’était allongé à l’endroit exact où tombait—non pas la glace—mais le soleil du matin.

Maintenant il faut dormir, parce que demain, La Dernière rue. Et donc le canapé…



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[Image : Homme, la nuit blanche, une poire-soleil par reading_is_dangerous]

4 commentaires:

  1. C'est bien de te suivre ainsi, mon imagination en rajoute beaucoup. Les mots sont faits pour cela. Je t'embrasse.

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  2. Le titre me plait bien, le vert du dessin aussi avec cette silhouette en contre jour (déformation à trop se pencher sur les photos.

    Requines, déformation détournée. Canine sur babine dans l'urbaine jungle.

    Moi aussi j'ai fait nuit blanche cette nuit et pourtant je ne dors pas sur un canapé.

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  3. je ne sais pas pourquoi mais ce texte me rappelle le fabuleux film de S. Coppola lost in translation.
    Ca doit être l'impression de jet-lag qu'il dégage.
    puis, j'aime bien la phrase " Les journées n’apportent guère que d’autres jours. " ...

    :)

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  4. Mon frère de divan ensommeillé! Il m'arrive la même chose très souvent. Content de te lire à nouveau. Une nouvelle expression est née: sans cravate.

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