mardi 2 septembre 2008

LES MAINS JOYEUSES




Je suis crevé ! Quand tu lis ces mots... Tu voudrais trouver ici des phrases géniales, quelque chose de neuf, mais que tu puisses reconnaître comme authentique, du vrai, des paroles pour des pensées capables d’indiquer la voix d’une meilleure connaissance de toi, sinon un rire.

Un guépard courrant la plaine de ta lassitude, ton ennui. Un papillon léchant la fadeur nutritive de tes prévisions. Tu lis, plein d’espoir, pourtant que tu songes déjà à tourner la page. Tu dois t’en aller. Quelque chose attend ton arrivée.

Tu dors sur le canapé. Ton linge grimpe sur toi, te dévore, pénètre la caverne de tes pensées nocturnes. Le coton t’étrangle. Tu meurs, cependant que la nuit passe. Un coup de vent arrache la porte. Il entre un mur agité, une surface affamée, envieuse de tes dimensions, pour te saisir à la gorge, ta vie, ton souffle, cette façon de regarder le monde, ton œil, le miroir. Tu me dis : « Non, ce n’est pas comme ça, » mais il est trop tard. Une montagne m’est tombée dessus, la nuque, cet endroit délicat, une fracture qui fait mal, un genou à la place du cerveau, un pli au lieu de soi.

Je tremble, crevé. Des bouts de papiers cherchent un stylo, le rescapé d’une guerre cruelle contre les armées de l’encre. Les mots disaient des biographies impossibles, des vérités fantaisistes, des possibilités troublantes. J’étais un téléphone, vivant, du premier jusqu’au dernier modèle, mais tu ne me reconnaissais plus.

Dans le métro, je te vendais des journaux pour t’occuper l’esprit, parce que le temps laissait sur toi sa marque, une trace, une cicatrice, un pli. C’était une lame, ma langue passée sur ta poitrine, un jeu de quilles. Tu étais ce gnome que j’admirais au fond du tunnel de mon désir, le parfait creuseur des allées du plaisir, une rampe pour me garder du précipice de l’absurde, une raison d’aimer le monde, une étoile unique pour éclairer l’univers plongé cruellement dans l’obscurité. Il est venu ton ventre pour nous donner vie, une charge, du dos, des épaules qui savent le devant, le derrière, le dessus, le dessous.

C’était une table dont la présence évoquait la disparition, un jour, de mes pauvres épaules. La table souriait, façon de dire : « Je sais, petit, je sais. » La table savait, depuis que ses pattes plantées au milieu du sol, au centre de la terre, sur les Quatre Points de l’Univers, depuis qu’elle savait bien, la table, ce que tu espérais trouver dans ces mots. « Je sais, petit, je sais. »

Tu te promenais l’autre été, en ma compagnie dorée, de bronze, d’argent. Dans la saison belle les oiseaux chassaient et les moustiques connaissaient le bec, l’estomac, la fin. C’étaient des craquements d’ailes échangés contre des chants pour nous ravir jusqu’à l’automne, voyez-vous, la rougeur du soir trahissait la honte de la nuit, le contact de nos épidermes, la crainte d’une soif impossible à gagner, à vaincre. Je dessinais de l’eau sur ta peau, pendant qu’une vague te chérissait. Nous chantions des airs de cinéma, parce que nous ne savions rien d’autre.

Un livre pour un lièvre, sa viande. N’importe quel livre pour un pauvre lièvre capturé sur le sentier des fleurs, au détour d’un ruisseau de sentiments connus seulement de l’espèce lapine, grandes oreilles, doux pelage—Viens donc creuser chez moi !

La vie plastique sert au monde qui ne pourrait autrement poser sur lui son regard. Malléable, la vie comme l’or. L’un et l’autre adoptent les formes plaisantes à l’imagination, au temps, dans l’espace étalé.

On dira que je délirais. C’est faux. Un sens caché derrière l’extraordinaire des mots attend votre venue, une visite, votre arrivée. Se cache la Règle du jeu ; de là, cet amusement du Prince devant lequel nous trébuchons dans l’ignorance. Certaines personnes doutent de l’existence de la Règle, mais elles ont tort. La Règle dit : « Ce qui n’arrive qu’une seule fois échappe à toute mesure, mais pas à sa destination. » Et les fous hurlent, « Nous ne comprenons rien, parce qu’il n’y a rien à comprendre. »

Et la Création, pour eux, n’a guère de sens que les cinq ou six connus à l’humanité, la vue, le toucher, le sens de l’équilibre, etc. Le sens électrique, vous savez votre cerveau… est une rivière, et la pensée aussi, où les mots sont les rochers du gué traversé d’habitude par les passants de l’esprit, quand on ne sait pas nager.

J’habite Moscou. Des machines à vendre les journaux décorent les tunnels qui conduisent à mon bureau. Des centaines de visages se pressent contre le mien. Des filles blondes marchent ici et là. La saison chaude est vite passée ; il fait déjà frisson. Mais le métro vous étouffe, et on peine à respirer.

Il pleut des bouteilles, des officiers en uniformes, des chiens errants, des voitures de luxe, des conseils prodigués au haut-parleur, des individus contraints à des emplois ignobles, des rumeurs incroyables, des désirs chiffrés. L’horloge est vraiment la pointe d’une aiguille : Je suis un ballon, crevé.



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[Image : Musique par reading_is_dangerous] (10/08/2008)


4 commentaires:

  1. Enfin des nouvelles d'une plume enivrée. Je vais venir relire tout cela tranquillement. Bises.

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  2. Te comparer à un ballon crevé...heureusement que les morceaux peuvent voler dans le vent et qui sait arriver jusqu'au laboratoire. Bises.

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  3. ça est cela et dense.


    ça à voir avec le destin,
    ça à voir avec le festin,
    ça veut voir l'histoire,
    ça veut voir dans le noir,
    ça veut croire les attentions,
    ça veut croire les attractions,
    savoir sans le savoir,
    comme ça à croire, c'est bon,
    avec un dé à lancer, comme un jocker,
    à placer au bon moment.

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  4. HISTOIRE D'UN SOURIRE

    Comme un masque à Venise
    Des flons-flons dans la musette
    Pour les charbonniers
    Les soutiers et les cantonniers

    Comme un cargo ventru
    Dont la mer sculpte les coques
    Qu'elle ramasse à marée haute
    Sur des pages de vent

    Un ballon de rouge au comptoir
    Pas de franchise dans l'assurance
    Un ticket gagnant de retour
    Même si jamais il n'y eut de départ

    Surf sur le spot
    Rien à déclarer à la douane
    Juste des bulles de jonglage
    Pour allumer les gueuses

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