lundi 30 juin 2008

LE POLYEDRE DE L'EXPERIENCE HUMAINE




eh ! le soleil des jours
quand tu te lèves
toi, l’astre, toi-la-personne
toi, dit « je »

quand tu lèves de la boue
quand sur tes pieds, tu brilles
quand tu quittes le sommeil pour redevenir
humain, humaine (une main)

l’expérience humaine ou personnelle
aujourd’hui, dans cette ville
où j’ai passé sans m’arrêter
pour te dire… mais te dire quoi ?

eh ! le soleil des journées chaudes
dans la ville, au pied du volcan
toi, l’astre, une femme qui me regardait
toi, quelle est ta langue ?

quand tu nettoies la boue des jours
quand de tes pieds, tu brilles
quand tu repousses le sommeil, la sieste
pour t’occuper des hommes

il y a un côté pathétique
sur le polyèdre de l’expérience humaine
aujourd’hui, dans ce poème
qui voulait te dire… mais quoi ?



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[Image : Le lait des mots par reading_is_dangerous] (Goma, la photo ; Paris, le texte)

samedi 28 juin 2008

DANS LA PENOMBRE





dans la pénombre
mais qu’est-ce que c’est que la pénombre
et comment peut-on y être
dans la pénombre

celle du jour
celle du pays
celle du regard
celle du rêve

le chemin du rêve
appuie ses pas, ses pieds
les orteils dans la terre du côté de la route
les orteils aggripés au plastique des babouches

les orteils comme des têtes
les orteils comme des serpents
les orteils comme des singes
les bêtes sauvages qui restent

ta main qui cherche la mienne
ton humeur envolée
ton sang qui monte
ta salive ou la pluie

nous sommes les uns pour les autres
des gouttes de pluie
la bonne pluie, la mauvaise
le chemin qui glisse, le rêve emporté

j’écris ces mots librement, sans compter
sans espérer
sans vouloir ou presque
je sais mon incapacité à raconter, le rêve

on m’a transporté d’un village à l’autre
en Toyota
en Toyota
en Toyota, il faut redire ce nom

et le paysage volait à grande vitesse
et les gens paraissaient flous
et mes raisons disparaissaient
et mes certitudes écrasées

j’ai vu l’aube plus souvent en trois semaines
qu’en ces quatre dernières années
pendant lesquelles j’écrivais
un peu, j’écrivais

de l’imaginé
du né-dans-la-tête
du vrai ou du moins vrai
tout ça se mélange

mes voix voyagent mal :
mes phrases refusent d’aller où je vais ;
chaque fois que je bouge,
tout est à recommencer

DANS LA PÉNOMBRE




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[Image : Sur la tête par reading_is_dangerous]

lundi 23 juin 2008

BELLE




il se lève de plus en plus tôt
et dort la nuit
et écrit des mots qui disparaissent
au fond du lit

il rêve d'une motocyclette
pour traverser les âges
pour livrer des bananes
pour secourir les coeurs isolés

perdus
et perdues, des filles

une fille seule au monde qui demande :
Est-ce que je ne suis pas belle devant toi ?

il va se coucher
de plus en plus tôt.

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[Image: L'étrange pouvoir du calme par reading_is_dangerous]


(Je pars pour une petite ville, Nyanzale. Retour prévu dans quatre jours.)

vendredi 20 juin 2008

CUISSON DE FLEUR





la marguerite des lunes
donne à manger aux vers de plat
de poussière de bois de la route des vols
des sièges en hauteur au sommet des camions
des périls du dos sur le ventre des mois

je voyage sans voir
je frappe sans entendre
je mords sans y croire
je prends sans trouver

oublitude d’écritade
je ne sais plus comment je faisais
pour placer les mots, l’un après l’autre
comme on marche

à la recherche
de la marguerite
des
lunes de bois, de poussière, de cris, de cuisson



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[Image : La plume de dos par reading_is_dangerous]

mardi 10 juin 2008

VENT LUNE PAPIER INVISIBLE





Carré blanc des eaux
Où j'ai jeté le cube de sucre de toi
Devant la voile d’un navire invisible
Mon âme, transport de papier

De tes questions aux milles réponses
Je n'ai conservé qu'un sourire gardien
De nos conversations sous la lune
C'était une longue nuit, sous le vent



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[Image : Astrelle dégourdie par reading_is_dangerous]

à Goma, au bord du lac Kivu.

lundi 9 juin 2008

PAUVRE LEZARD BLEU



un guidon de vélo ou des cornes de boeuf
une roue ou la tête d'un mourrant incrédule
la foudre ou la fin d'un micro-ordinateur
la pluie tue ton ennemi (c'était un moustique)

danser avec des volcans
me poser comme ces moineaux sur des barbelés
me débattre entre tes serres, oiseau
je suis ce pauvre lézard bleu



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[Image : En attendant par reading_is_dangerous] (Au Rwanda, sur la route qui mène à Goma)

dimanche 8 juin 2008

LES CLOCHES D'HIER




des aéroports de verre
des avions de monde
des paysages de patience
le voyage va bien

il – je parle de moi –
prend l’avion à Paris
pour aller à Kigali
en passant par Bruxelles

il attrape des mots au passage
des mots vus
des mots entendus
des mots qui brillent par leur absence

« gilet de sauvetage sous votre siège »
font penser à « le, est » ou « il y a un »
et « assis conservez votre ceinture »
donnent quand vous êtes, veuillez, ou restez, et

ces détails forment un ensemble bizarre
qui donnent au voyageur un début
une aventure plaisante
avec les mots (des nids-de-poule)

« les conditions météorologiques
à destination
sont... [hésitation]
bonnes »

nous attendons des retardataires
le commandant de bord, le pilote
remercie les passagers, pour leur patience –
c’est toujours une aventure plaisante

« armement des toboggans »
et un enfant gémit
« Boeing 737 »
« la durée du vol sera de trente-sept minutes »

un agent nous montre
à boucler et déboucler notre ceinture –
sa tête a (elle a) une ressemblance troublante avec
la mienne. Crâne, front, sourcils, oreilles…

« C’est un Romain qui a tué le Christ, pas un Juif »
dit quelqu’un…
quand la faim me pique le côté. Je note :
« Décollage imminent. »

la machine vole au ras des nuages.
Les lèvres de ma voisine sont des lévriers
qui s’élancent. Dans un millions d’années,
cette bouche formera peut-être une trompe ?

la voisine tient un sac à main,
dont le tissu imprimé fait deux F inversés
je pense : farfelu, fanfare, forfait, fortifier...
et puis je trouve enfin ce mot : Fief

nous arrivons chez les Belges
-- MONSIEUR, RESTEZ ASSIS ! ordonne l’agent.
C’est un Chinois qui s’est levé trop tôt
un Chinois confus, ah! Ah! Ah!

la pensée n’est pas essentielle à la vie
ça, les fleurs le savent. Confucius le savait,
mais la fourmi et l’homme l’ignorent
généralement

(dans l’avion qui suit)

Afstand tot de Plaats
van Bestemming 6367 km / 3956 miles

le voyage va bien
il faudra huit heures pour aller de B. à K.

un prêtre catholique d’une trentaine d’années
un nuage blanc dans un ciel noir
est assis. Il occupe
le siège A de la rangée Un

ma place se trouve 33 rangées derrière la sienne
mes voisins sont des Américains en culotte courte
leur fillette colorie en jaune des agneaux ailés
leur fils s’amuse avec un modèle de bombardier

papa a les cheveux rasés jusqu’au sommet
maman un double menton précoce
et tout ce monde suce
des tic-tac à l’orange, à l’aspartame (?)

« nous attendons encore quelques bagages »
mon autre voisin est un Rwandais
aux chaussures de cuir, rouge pomme
aux vêtements vert-de-gris

il lit une Bible en français
il se signe, et puis il ouvre un autre livre
illustré d’une représentation de la Vierge
placée devant un drapeau européen

le rasé parle : « On vend un ranch
3000 hectares situés au Colorado
pour quatre-vingt huit millions de dollars »
il avale des tic-tac

on diffuse une mièvrerie : Where are you now?
Maybe you are far away?

I don’t think so
I think you are here…


à la vitesse de 300 kilomètres heure
l’avion décolle enfin
et nous prenons rapidement de l’altitude
pendant qu’un enfant hurle

on me donne un sachet : SKYBITES
Fab savoury biscuits

Fly, nibble, enjoy – gm free

Contient un colorant : l’annatto

vin rouge : Côtes du Roussillon 2006, 187 ml
mon voisin vert demande une bière
je bois à santé – sa voisine se joint à nous
elle lisait un best-seller: THE BELLS OF YESTERDAY

j'ai acheté un roman, Mister Pip de Lloyd Jones
pour dix euros cinquante. Quatre heures
plus tard,
je trouve que ce n’est pas mal fabriqué

sous les nuages,
une couleur rouge
c’est celle du désert –
si l’avion pouvait doucement s’écraser…

il fait déjà nuit
il reste encore une heure de vol
il est interdit d’importer des sacs de plastique
au Rwanda. Un bébé pleure

nous arrivons. Je reconnais des effluves
L’accueil est chaleureux, mais le douanier
perd mon précieux visa arménien.
Je le retrouve sous ses pieds

à l’hôtel, la confusion règne
le personnel prétend ignorer le français
mais je trouve sur la carte :
Filet de bœuf à la financière

ce matin, j’ai découvert
devant la fenêtre de ma chambre
ce mur peint des mots :
AFRICA MOTORCYCLE



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[Image : Vite, vite par reading_is_dangerous]

vendredi 6 juin 2008

JE NE M'EN VAIS PAS




je ne m'en vais pas :
c'est le voyage qui s'en vient

je l'attends donc ce voyage,
à la minute près



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[Image: La courbure du temps par reading_is_dangerous]

TENIR, TENANT, TENAIT, TIENDRA





je vais tenir au bout des ailes
comme aux pointes
et aux pinces
et aux dents
et aux cadres des portes
et aux bords des fenêtres
et surtout aux mains, les tiennes

tenir
tenant
tenait
tiendra

dans l'estuaire de l'instant



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[Image : Grave, Suze par reading_is_dangerous]

mercredi 4 juin 2008

L'ILLUSION DES [...]



Le mercredi est un chien d’oubli. Il parle en morsures. Sa pensée venimeuse s’infiltre jusqu’au secret des collisions muettes des objets du cœur, et puis vos émotions durcissent soudainement, avant de mourir figées dans la plus grande laideur, celle de l’oubli, en milieu de semaine.

La race des jours. Ce matin, en songe – la pluie battait la porte-fenêtre de ma chambre, cependant qu’un chien gémissait. Le matin d’hier, les pendus de ma demeure affective, leurs orbites vertes, les orbites verdâtres de leurs yeux volés, ces taches provoquaient la plus violente colère de mon âme, et je cherchais la lame magique capable de repousser les démons affreux de ma conscience profonde. Le mercredi est un chien d’oubli.

Il parlait en morsures, pendant que la pluie lavait le sang de mes blessures. Je devenais ce lait rouge qui passait sous la porte, celle de ma chambre. C’était en milieu de semaine, au matin d’une colline de grisaille. « Le plus difficile, me disais-je, consiste à repousser la pensée de la pensée, la parole de la parole, le mot du mot, l’art de l’art, la poésie de la poésie, le démon du démon, le chien du chien, la morsure de la morsure, le mercredi du mercredi, le milieu du milieu, l’âme de l’âme, la partie vivante qui survit à la mort de sa partie visible. »

Le monde est la partie visible, tangible d’une chose invisible et intangible, cachée derrière le voile tenu, soutenu par l’oiseau des mains du chien des jours. L’oiseau du chien, la main des jours.

La collision des objets libère les particules fondamentales de nos idées. Les particules ou taches provocatrices, la cécité des mots, l’illusion des […], la pensée du milieu, la chienne des jours, la morsure de l’oubli, le poison vif qui tue l’être malheureux qui s’est trompé de pied. Que la partie heureuse de votre personne éternelle se lève et marche ! Car en vérité, je vous le dis, ce n’est pas le corps qu’on guérit ou la vie qu’on ressuscite, mais le cœur de l’esprit qui peut revivre : Qu’il soit touché par la grâce, et il peut enfin connaître son portrait véritable. Il est le Buste de la vie, la parole de la Création, l’anti-Oubli, la mémoire tourmentée de l’espace et de la matière, celle de l’Être.

Le corps est la partie animée du temps. La mort, c’est donc la fin du temps, le temps horizontal. L’éternité se porte debout. La conscience est cette fenêtre à un sens, qui permet à celui qui se tient près d’elle de regarder en lui-même. L’humanité est un immeuble. La vie, une grande ville, la Cité des Fenêtres, mais nous rêvons vainement d’une petite porte.



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[Image : Vu par reading_is_dangerous] 2 juin 2008 -- Sculpture de A. Bourganov, exposée dans un jardin à Paris.

lundi 2 juin 2008

REGARDANT DES STATUES DE TOI

on fera une statue de toi
chevauchant le clavier de ton ordinateur
ou aggripé au volant d'une automobile
ou portant une valise, dans le métro

on fera une statue de toi
offrant des fleurs à une vache affamée
ou buvant du vin de clou
ou jouant de la guimbarde

on fera une statue de toi
baissant ton pantalon devant la lune
ou caressant la nuit
ou basculant dans l'inconnu

on fera une statue de toi
regardant des statues de toi
regardant des statues de toi
regardant des statues de toi

on fera finalement une statue de toi
détruisant à coups de massue
toutes les statues de toi
toutes les statues de toi


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[Image : La vie secrète des pierres par reading_is_dangerous]

dimanche 1 juin 2008

LES BRAS EN AILES




il faut écrire des poèmes
pour trouver le nez du doigt,
l’ongle de l’œil,
pour enlever sa tête propre,
pour donner une signification étrange
aux bruits des avions quand ils survolent la jungle
à la recherche des derniers héros

j’aimerais tenir un arc à la main
me peindre le corps en rouge
connaître le nom des arbres blancs
et suivre des pistes dont la largeur n’aurait jamais
changé
en deux mille ans.

il faut écrire des poèmes
pour retourner sous le soleil, ce camembert fondu
pour retrouver la piste des fourmis
et dévorer avec elles mon pain
aux trois céréales

il faut écrire des poèmes
pour distinguer l’épaule basse de l’épaule haute
pour séparer le cul du front du ventre du talon
pour retrouver la piste de contournement
du stade de France, l’horrible

la soucoupe de béton
les rails, les grilles, les tourniquets, les rampes
les murs, l’asphalte, le whisky
m’ont fait tourner la tête, je veux dire
le dos, je veux dire que je suis un avion.

En traversant le ciel, je bruite étrangement,
les bras en ailes –
ça fait des poèmes héroïques



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[Image : Porte par reading_is_dangerous]