dimanche 8 juin 2008

LES CLOCHES D'HIER




des aéroports de verre
des avions de monde
des paysages de patience
le voyage va bien

il – je parle de moi –
prend l’avion à Paris
pour aller à Kigali
en passant par Bruxelles

il attrape des mots au passage
des mots vus
des mots entendus
des mots qui brillent par leur absence

« gilet de sauvetage sous votre siège »
font penser à « le, est » ou « il y a un »
et « assis conservez votre ceinture »
donnent quand vous êtes, veuillez, ou restez, et

ces détails forment un ensemble bizarre
qui donnent au voyageur un début
une aventure plaisante
avec les mots (des nids-de-poule)

« les conditions météorologiques
à destination
sont... [hésitation]
bonnes »

nous attendons des retardataires
le commandant de bord, le pilote
remercie les passagers, pour leur patience –
c’est toujours une aventure plaisante

« armement des toboggans »
et un enfant gémit
« Boeing 737 »
« la durée du vol sera de trente-sept minutes »

un agent nous montre
à boucler et déboucler notre ceinture –
sa tête a (elle a) une ressemblance troublante avec
la mienne. Crâne, front, sourcils, oreilles…

« C’est un Romain qui a tué le Christ, pas un Juif »
dit quelqu’un…
quand la faim me pique le côté. Je note :
« Décollage imminent. »

la machine vole au ras des nuages.
Les lèvres de ma voisine sont des lévriers
qui s’élancent. Dans un millions d’années,
cette bouche formera peut-être une trompe ?

la voisine tient un sac à main,
dont le tissu imprimé fait deux F inversés
je pense : farfelu, fanfare, forfait, fortifier...
et puis je trouve enfin ce mot : Fief

nous arrivons chez les Belges
-- MONSIEUR, RESTEZ ASSIS ! ordonne l’agent.
C’est un Chinois qui s’est levé trop tôt
un Chinois confus, ah! Ah! Ah!

la pensée n’est pas essentielle à la vie
ça, les fleurs le savent. Confucius le savait,
mais la fourmi et l’homme l’ignorent
généralement

(dans l’avion qui suit)

Afstand tot de Plaats
van Bestemming 6367 km / 3956 miles

le voyage va bien
il faudra huit heures pour aller de B. à K.

un prêtre catholique d’une trentaine d’années
un nuage blanc dans un ciel noir
est assis. Il occupe
le siège A de la rangée Un

ma place se trouve 33 rangées derrière la sienne
mes voisins sont des Américains en culotte courte
leur fillette colorie en jaune des agneaux ailés
leur fils s’amuse avec un modèle de bombardier

papa a les cheveux rasés jusqu’au sommet
maman un double menton précoce
et tout ce monde suce
des tic-tac à l’orange, à l’aspartame (?)

« nous attendons encore quelques bagages »
mon autre voisin est un Rwandais
aux chaussures de cuir, rouge pomme
aux vêtements vert-de-gris

il lit une Bible en français
il se signe, et puis il ouvre un autre livre
illustré d’une représentation de la Vierge
placée devant un drapeau européen

le rasé parle : « On vend un ranch
3000 hectares situés au Colorado
pour quatre-vingt huit millions de dollars »
il avale des tic-tac

on diffuse une mièvrerie : Where are you now?
Maybe you are far away?

I don’t think so
I think you are here…


à la vitesse de 300 kilomètres heure
l’avion décolle enfin
et nous prenons rapidement de l’altitude
pendant qu’un enfant hurle

on me donne un sachet : SKYBITES
Fab savoury biscuits

Fly, nibble, enjoy – gm free

Contient un colorant : l’annatto

vin rouge : Côtes du Roussillon 2006, 187 ml
mon voisin vert demande une bière
je bois à santé – sa voisine se joint à nous
elle lisait un best-seller: THE BELLS OF YESTERDAY

j'ai acheté un roman, Mister Pip de Lloyd Jones
pour dix euros cinquante. Quatre heures
plus tard,
je trouve que ce n’est pas mal fabriqué

sous les nuages,
une couleur rouge
c’est celle du désert –
si l’avion pouvait doucement s’écraser…

il fait déjà nuit
il reste encore une heure de vol
il est interdit d’importer des sacs de plastique
au Rwanda. Un bébé pleure

nous arrivons. Je reconnais des effluves
L’accueil est chaleureux, mais le douanier
perd mon précieux visa arménien.
Je le retrouve sous ses pieds

à l’hôtel, la confusion règne
le personnel prétend ignorer le français
mais je trouve sur la carte :
Filet de bœuf à la financière

ce matin, j’ai découvert
devant la fenêtre de ma chambre
ce mur peint des mots :
AFRICA MOTORCYCLE



::: ::: :::

[Image : Vite, vite par reading_is_dangerous]

6 commentaires:

  1. Ce matin, je me lève avec un mal à l'estomac, sans aucune raison ; à moins qu'un vol de nuit... J'ai hésité à lire le tien. Heureusement il n'a pas été turbulent; je suis bien arrivé. Et maintenant ? Je reprends le même du bas vers le haut ? je reste encore un peu ...

    RépondreSupprimer
  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  3. Les nouvelles cela fait du bien. Je me demande si les shybites sont de phallus célestes. Mon vaste imaginaire se fait des films délirants...

    RépondreSupprimer
  4. J'adore et j'adhère à ton genre, j'aimerais trop pouvoir écrire comme çà ! Merci de le partager avec nous.

    RépondreSupprimer
  5. Le cadre juste, le mot aussi. Textures et odeurs. Merci.

    RépondreSupprimer
  6. Je t'imagine la en Afrique, cette musique contre-pointe dans tes pensees. Bien entendu. Tous les petits oiseaux sont morts. Je suis desolee' d'avoir mentione', parce que cette instant je vois par le fenetre un long nuage rose d'un avion, et le vol antique d'autres oiseaux, et j'entends cette double-musique. Le monde est plein d'oiseaux, n'est-ce pas? Et plein de musique, aussi.
    Belles Journees!

    RépondreSupprimer