mardi 10 juillet 2007

LA DELICATESSE DE LA VIE


Bertrang-Marting Antischolasticus rêve
Qu’on l’a condamné à mort, et
Qu’on s’apprête à l’exécuter

on l’a lié solidement à une puissante motocyclette
Dont la roue avant repose sur un rail qui mène à un mur
De feldspath, dressé à cent mètres plus loin, droit devant

le moteur du bolide croasse comme un corbeau bourru
Tandis qu’une voix poissarde prononce un compte à rebours
Abrutissant : Veinte ! Dizneuffïo ! Dizzuite ! »

Bertrang-Marting s’interroge : « Qu’est-ce que la mort ? »
Est-ce cette voix crasse qui continue : « Dizettïo ! Seize ! Quinzïo ! »
Est-ce. . . le dernier saut de l’exocet saisit au vol par le cormoran ?

la mort, c’est un corbeau de mer, Corvus marinus
« Je suis un trophée de marine, » songe bizarrement le rêveur
« Je suis un château de sable qu’on ne reverra plus. »

grains de sable ou atomes ; ce sont des gnomes
Qui épouseront la forme renouvelée d’une forteresse
Emportée tôt ou tard, par la vague ou par la brise, ou piétinée

la mort, c’est la délicatesse de la vie
Après la mort, il n’y a rien ; après la fin d’un film, celui-ci
Existe toujours mais on n’est pas destiné à le revoir

« il faut aimer. » se dit Bertrang-Marting
Aimer les murs qui enclosent l’espace de sa propre vie
Et choisir avec soin, si c’est faisable, les cordons qu’on va tirer

il faut incliner son cœur vers la miséricorde
Il faut faire de sa vie un poème au style harmonieux
Il faut éviter les fièvres, les délires, la prolifération vaine des ossuaires

il faut dépouiller l’homme de ses idées « cédilles » et autres diablotins
Le débarrasser des postulats inutiles et énoncés par l’Ennemi
D’en-dessous : la Peur

« on cesse trop tard d’avoir peur. » pense Bertrang-Marting
« On voit trop tard que l’éternité traverse le temps
Et réciproquement, tels les axes perpendiculaires x et y. »

pour échapper au temps et à l’éternité, il n’y a qu’une seule façon
« C’est de ne pas exister. » conclut Bertrang-Marting
Le compte à rebours se poursuit : « Quatorze, treizïo, douze. »

plus tôt dans ce récit, vous vous en souvenez peut-être
Le huissier Guyvan a assommé Bertrang-Marting
Après avoir affirmé qu’il fallait lui arracher sa dent creuse

ça eut lieu dans cette fameuse taverne, l’Intraordinaire
Dont le patron, un certain Noël, homme posé
Est un ami du huissier qui n’eut donc aucun ennui

l’assommé, Bertrang-Marting Antischolasticus (c’est le
Nom qu’il s’est donné) partait en voyage avec l’intention de
Traverser à pied le désert Instrumental

au sujet de celui-ci, voici quelques mots
C’est un territoire vaste, médiat, inhabité
Sauf par quelques ermites qui adorent le feu, le soleil, les astres

ces types mènent des spéculations diverses
Ils font des calculs pour l’industrie, le commerce, la finance
Ils se tatouent le corps de leurs nombreuses formules et hypothèses

ces spécialistes se nourrissent de chardons trouvés entre des projections
De pierre, ainsi que des concombres sauvages aux extrémités
Réticulaires qui captent patiemment une pauvre humidité

quant aux bêtes du désert, signalons l’entortillonnette
Qui s’attache autour de la langue de ses victimes assoiffées, et
L’érigne nocturne aux pinces cruelles

mais revenons au rêveau cauchemarde Bertrang-Marting
Il reste ligoté sur sa moto
Le compte-à rebours se poursuit : « Onzïo, disse, neuffïo. »

or la langue de notre héros découvre dans sa bouche une cavité
Encore chaude qui lui rappelle soudainement la vision d’une pince
« On m’a enlevé ma dent creuse. » comprend Bertrang-Marting

une dent de moins, c’est une petite mort de plus
« Une renaissance. » songe Bertrang-Marting, optimiste
Le compte à rebours se poursuit : « Huite, settïo, sisse. »

la motocyclette déjà bondit
Dirigée à distance par je-ne-sais-quel mécanisme
Elle fonce vers le mur alors qu’on entend : « Cinquïo, quatre, troizïo. »

« c’est injuste ! » hurle en lui-même Bertrang-Marting
« Je vais mourir cinq secondes trop tôt. »
Mourir, prendre son congé, quitter l’océan des âges

« J’irais bien à la plage me coucher sur le sable chaud. »
Voilà la dernière pensée du « motocycliste » propulsé vers le mur
De feldspath, tandis qu’on entend : « DEUX, UN, ZÉRO. »


.. .. ..


Bertrang-Marting survivra-t-il à son cauchemar ?
Lui a-t-on réellement arraché sa dent creuse ?
C’est une histoire à suivre !

::: ::: :::

[Image: Dent creuse sur rail par reading_is_dangerous]

6 commentaires:

  1. remarquez, écrasé sur un mur aussi psychédélique je me demande bien dans quelle genre de mort à rêves globuleux va t-il être plongé, où en sera t-il sauvé à temps, mystère

    trés chouette, trés chouette, c'est delicieusement tordant et,
    merci pour tes commentaires.

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  2. Aïe Aïe Aïe ! Faut que je rattrape tout mon retard depuis janvier !

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  3. ¨la mort, c’est la délicatesse de la vie, voilà qui me touche. En ancien discipline acharné des auteurs de l'arrache coeur et des fleurs bleues, j'attends la suite avec impatience.

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  4. Il y a sûrement une délicate faille amie dans ce mur qui aura la délicatesse de laisser un passage à la vie de Bertrang-Marting.

    C'est égoïste! Je veux un peu plus de détails sur ces bêtes du désert qu'on ne trouve pas aux quatre coins du désert, tel l'entortillonnette...

    Et puis, il y a cette dent creuse sur rail. Je suis inquiète à son sujet.

    Bref, vivement la suite de cette histoire à suivre et dangereuse!

    Merci pour vos sages commentaires sur mes fous carnets.

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  5. Our hero dreams
    of thoughts before death

    and thinks (among other things)
    of sand castles carried by wave
    or wind or trampled upon
    which nobody will remember
    or re-examine

    Seconds before death
    he thinks about life
    and how //necessary (it is) to like
    …the walls which enclose…
    and to choose carefully,…the cords…//

    He thinks about the need
    for his life to be “a poem
    that is in harmony”
    and “avoid the fevers”

    He thinks about cleansing…
    of stripping man to his barest essence

    to remove “ideas and imps”
    and “useless postulates”
    and most of all “fear”

    He thinks about the cessation of life as an escape from “time and eternity” and an escape from the “sea of ages” and hence, by dying, he becomes ageless

    He thinks about death as a rebirth
    and about some losses in life
    (like the loss of his tooth)
    as “small deaths” and
    “small rebirths”

    What is “to die?”

    (a good question asked
    that served as the guiding post
    in this piece)

    It is diving into the ocean of nothingness, of escape from the confines of time and space

    It is to shed off the “old self”
    and to be “re-born” into
    something new

    ===
    Thinking about death and its inevitability makes one think about what matters most in one’s life
    ===

    my dear friend,
    this is not an easy read at all
    It stretches my thoughts and
    is replete with eschatological questions which certainly never fails to captivate me

    Splendid!
    (looking forward to
    the next installments)

    ~E.

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  6. L'essai sans cédille

    Plié comme un parachute dans sa dent creuse ,Lairback Confetti blotti dans sa Malle Game, attendait le zéro final pour gonfler son torse de velours.

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