Un grand oiseau de fer noirâtre, armé d’une pique à l’ancienne et d’une merveilleuse arbalète, nous menait mon chien Toto et moi dans un passage des murs blancs d’une ville inconnue.
L’oiseau venait de refermer derrière nous la porte extérieure, aux cent vingt pointes de bronze, quand une odeur légère de moisi me força à lever le nez. Je découvris ainsi des meurtrières situées à deux mètres du sol, s’ouvrant sur la droite, qui révélaient une place ténébreuse. De là, m’expliqua notre guide, on tirait jadis des carreaux sur les intrus qui parvenaient parfois à s’introduire ici, qui portaient d’habitude leurs boucliers à gauche, s’ils en avaient. L’oiseau cligna de l’œil et ajouta, « De nos jours, cette place ténébreuse ne sert qu’à moi. J’y plie du papier pour lui donner la forme d’œillets, mais on ferait sans doute mieux en y cultivant des champignons. »
Je crus que ces paroles avaient un sens caché, mais je m’abstins de questionner l’oiseau, car je pensai qu’il m’avait sans doute dit ce qu’il voulait me dire, ce qu’il pouvait me dire, ou ce qu’il fallait dire pour que je devine ce qui ne devait pas être dit ou ne pouvait pas être formulé en mots. Je raisonnai rapidement, à rebours, prenant comme point de départ les champignons. Ils évoquaient l’idée d’une manifestation soudaine : la vie ! ou la fermentation d’un corps sans vie. J’imaginai ensuite une couronne mortuaire, confectionnée dans l’obscurité ou par les mains d’un aveugle assis dans une chambre humide, où des soldats se seraient autrefois placés à l’affût pour massacrer des envahisseurs. Ce qui pénètre, meurt.
Le sentiment de soi-même, la conscience a fait irruption dans la matière quand le papier fragile de la mémoire est devenu capable de se replier sur lui-même pour comparer ce qui est avec le souvenir de ce qui fut. Mais cette délicate offrande du Temps à la Nature, l’œillet de l’esprit, fleurit d’une multitude de corolles vite flétries par les éléments, ou dévorées. Nous sommes des fleurs, et en tant que telles nous sommes destinées à perdre nos couleurs, mais nos formes mortes nourrissent en pourrissant des manifestations nouvelles, et Phénix renaît, et la Fleur vit.
Je m’étais donc arrêté, pris par mes pensées, quand je remarquai qu’une ampoule électrique suspendue au plafond jetait nuement une lumière plaisante. Et puis l’oiseau noir m’enjoignit d’avancer. Nous franchîmes le seuil d’une herse levée à mi-hauteur, et puis celui d'une porte décorée d’une fresque qui représentait un crocodile céleste, peut-être un dragon, qui versait des larmes sur des crocus jaunes, blancs, et mauves, que surveillaient un singe coiffé d’une émeraude incrustée dans le battant de la porte. Nous suivîmes d’autres passages. Nous vîmes d’autres portes. Nous entrâmes finalement dans un vaste cabinet où l’oiseau déposa ses armes, m’invitant à m’asseoir dans un fauteuil recouvert de maroquin. Le garde demeura debout pour m’offrir du vin de clou qu’il versa dans des gobelets en terre cuite ; un pour lui, et un pour moi. Nous bûmes en silence, mais j’aperçus la langue cendrée de l’oiseau…
C’était un organe fascinant bien que positivement horrible. Pour échapper à son pouvoir hypnotique je reportai mon attention sur la constellation d’objets éparpillés dans la pièce. Je me souviens d’un candélabre qui supportait un pantin contorsionniste, et d’un télescope catoptrique couplé à une caméra vidéo, et d’un rare irrorateur universel, et d’un court canon de bronze reposant sur sa bouche, et d’une flûte de bambou crottée, et d’une vieille idole en bois. C’était une figurine difforme, ceinte d’une cordelette dorée. Elle était retournée à moitié sur elle-même, saisie dans une posture obscène, les hanches lancées devant les épaules, les bras écartés, les lèvres entrouvertes. Une troisième main lui sortait du ventre pour tenir une carte à jouer en carton plastifié, un roi de cœur, et dessus il était écrit que « l’amour » est un jeu de mains. Il y avait aussi une cuve de verre, remplie d’eau fumante, et situés près d’elle, sur une chaise, une belle serviette de bain ornée d’un « L » brodé, et, dans une assiette bleu pâle de faïence, une savonnette qui semblait faite pour moi, mais je n’en sus jamais rien.
Je contemplais tranquillement un collier de force quand Toto poussa à mes pieds un long soupir, et j’osai enfin prier mon hôte de me dire si ma situation était véritablement compliquée comme il me l’avait annoncé en dehors des murs, après que j’eus exprimé mon intention de rencontrer le maître de la ville. « Sachez d’abord que je m’étonne, dit l’oiseau, que vous m’avez suivi sans faire d’esclandre, et que vous buvez maintenant en ma compagnie sans savoir qui je suis, sans connaître mon nom, et sans m’avoir dit le vôtre. Vous comprendrez que vous me paraissez suspect ! – C’est que j’ignore moi-même qui je suis, avouai-je sans une hésitation. – C’est une bonne raison pour vous intéresser aux personnes de votre entourage, plutôt qu’au contenu de leur cabinet, si vous voyez ce que je veux dire, dit l’oiseau. Je suis le capitaine des Gardes ; Lacritsa est mon nom, mais on m’appelle Lacritchnik. Est-ce que vous n’avez-vous pas un passeport ? » Je n’en avais pas, et je le dis. Le capitaine Lacritsa claqua du bec.
L’oiseau pensait qu’il fallait me prêter un nom en attendant qu’on retrouvasse plus tard le mien, et à cette fin il résolut de choisir au hasard un ou deux mots dans une encyclopédie du surréalisme dont la couverture montrait la reproduction d’un tableau de René Magritte : Devant un rideau rouge, sur un plancher de bois, un incroyable objet ressemblant à un bilboquet était « assis » à un improbable piano constitué d’un bouquet herbeux de statices en fleurs, des arméries maritimes aux têtes roses, denses, et arrondies. J’ai lu récemment que cette œuvre peu connue avait porté plusieurs titres : La falaise, Le vertige, La fin de la musique, avant d’en recevoir un dernier : La sapience du printemps.
Ouvrant le livre, le capitaine choisit ces mots : Dada, et marsouin, et puis il me proposa cette combinaison : Marcellin Dada. « Pour un herboriste ambulant comme vous, ça fait chic, » dit Lacritsa. Je n’avais certes aucune raison de le contredire, et je devins ainsi Marcellin Dada. Mon chien et moi formâmes alors ce duo aux noms amusants, Toto et Dada.
Le capitaine m’apprit ensuite qu’il me faudrait un permis d’entrée pour qu’on me laisse entrer en ville, et aussi, ou éventuellement un permis de séjour, si je comptais séjourner en ville plus longtemps que les huit jours accordés par le permis d’entrée. Le permis d’entrée coûtait huit piastres. Le permis de séjour coûtait quatre-vingt piastres ; sa validité était de huit mois. Pour Toto, il suffisait d’obtenir une autorisation spéciale, et de payer pour lui cinq piastres aux quinze mois. Mais je n’avais pas d’argent, et cela empirait ma situation. « Mon cher Dada, » commença l’oiseau me scrutant, « croyez-vous qu’un voyageur démuni comme vous l’êtes puisse obtenir la permission d’entrer chez nous ? Rah! Rah! Rah! Je crains que vous ne puissiez jamais visiter notre ville et ses merveilles, par exemple, la boulangerie Cuivrée, ou la place du Général Steccata, ou notre cathédrale, la magnifique Saint Pango. »
Je proposai de payer mon permis d’entrée en nature, avec une herbe, des graines ou l’une des racines que je transportais dans mon sac. « J’avais oublié votre sac, » dit Lacritsa, « et la taxe qu’il vous faudra payer pour son contenu—et pour le sac lui-même. » J’avais à ma ceinture un long couteau graissé. Je le déposai sur la table en demandant au capitaine combien cela valait. « Rien du tout, puisque je vous le confisque, au nom de la loi, » prononça-t-il. Et voyant cet oiseau parlant se transformer en pie voleuse, je pensai que le mieux était pour moi de quitter simplement ces lieux, mais c’était désormais impossible.
Le capitaine me signifia qu’il m’arrêtait en m’accusant de voyager sans papier, sans argent, en possession d’une arme… et puis j’étais coupable de ne pas garder mon chien en laisse. Je ne croyais pas pourtant que Lacritsa fut sérieux, et c’est pourquoi je lui demandai de me dire franchement ce qu’il espérait de moi. « Est-ce un pot-de-vin que vous me proposez ? » demanda le capitaine. Sa voix de clavecin trahissait une surprenante excitation.
J’opinai carrément des yeux. L’oiseau eut un sourire affreux, qui lui tordait le bec, et puis il me fit cette leçon : « La corruption, c’est un champignon parasite qui pousse à toute vitesse sur le corps naissant d’une révolution n’importe laquelle ; communiste, libéraliste… ces pseudo changements se ressemblent tous entre eux, parce que les systèmes qu’ils mettent en place sont pareillement basés sur des utopies qui présupposent—ou qui prétendent qu’elles présupposent—de la bonne foi généralisée des êtres humains, y compris des personnages les plus influents, ainsi que des individus dont la charge est de protéger la loi et son application la plus stricte. Or comme le disait Diderot, la foi est une adhérence du coeur à la vérité éternelle, et dans le contexte qui nous intéresse, cette vérité est la suivante : On risque la tragédie lorsqu’on triche avec les lois inventées par soi-même et pour soi-même. »
« Personne ou presque n’y croit plus, mais il faut bien y croire, » continua l’oiseau, « il faut que tout le monde croit à cette vérité ; tout le monde y croyait quand la survie immédiate de chacun était en jeu. La corruption est née d’un changement de perception de la nature du danger. Il faut avoir confiance dans le danger. Le marché libre fonctionnerait peut-être s’il était vraiment libre, si les vendeurs de canons—pour ne mentionner que ceux-là—n’exerçaient pas leur pouvoir de corruption sur les responsables éminemment corruptibles des budgets nationaux, et sur la Décision publique. »
L’oiseau claqua de nouveau du bec, et dit : « Il n’y a rien de pire que la corruption ; or ce mal a un frère jumeau. C’est son parfait contraire, mais il est également néfaste. Savez-vous de quoi il s’agit ? – L’excès de zèle ? dis-je avec espoir. – C’est cela, » articula le capitaine Lacritsa, et il me tendit un œillet rouge en papier plié, me disant : « Mon cher Dada, prenez cette fleur, c’est un permis d’entrée ; on la porte obligatoirement sur son chapeau. »
Mais comme je l’ai déjà écrit ailleurs, je n’avais pas de chapeau, et je le dis. L’oiseau afficha encore cette espèce de sourire affreux qui lui tordait le bec, et puis il me dit, « Je vous en prêterai un qui appartenait à Érik Satie, si vous acceptez de remplir un petit service qui me rendrait agréable à une jolie femme—lui porter de ma part un pot de miel de trèfle.»
L’oiseau venait de refermer derrière nous la porte extérieure, aux cent vingt pointes de bronze, quand une odeur légère de moisi me força à lever le nez. Je découvris ainsi des meurtrières situées à deux mètres du sol, s’ouvrant sur la droite, qui révélaient une place ténébreuse. De là, m’expliqua notre guide, on tirait jadis des carreaux sur les intrus qui parvenaient parfois à s’introduire ici, qui portaient d’habitude leurs boucliers à gauche, s’ils en avaient. L’oiseau cligna de l’œil et ajouta, « De nos jours, cette place ténébreuse ne sert qu’à moi. J’y plie du papier pour lui donner la forme d’œillets, mais on ferait sans doute mieux en y cultivant des champignons. »
Je crus que ces paroles avaient un sens caché, mais je m’abstins de questionner l’oiseau, car je pensai qu’il m’avait sans doute dit ce qu’il voulait me dire, ce qu’il pouvait me dire, ou ce qu’il fallait dire pour que je devine ce qui ne devait pas être dit ou ne pouvait pas être formulé en mots. Je raisonnai rapidement, à rebours, prenant comme point de départ les champignons. Ils évoquaient l’idée d’une manifestation soudaine : la vie ! ou la fermentation d’un corps sans vie. J’imaginai ensuite une couronne mortuaire, confectionnée dans l’obscurité ou par les mains d’un aveugle assis dans une chambre humide, où des soldats se seraient autrefois placés à l’affût pour massacrer des envahisseurs. Ce qui pénètre, meurt.
Le sentiment de soi-même, la conscience a fait irruption dans la matière quand le papier fragile de la mémoire est devenu capable de se replier sur lui-même pour comparer ce qui est avec le souvenir de ce qui fut. Mais cette délicate offrande du Temps à la Nature, l’œillet de l’esprit, fleurit d’une multitude de corolles vite flétries par les éléments, ou dévorées. Nous sommes des fleurs, et en tant que telles nous sommes destinées à perdre nos couleurs, mais nos formes mortes nourrissent en pourrissant des manifestations nouvelles, et Phénix renaît, et la Fleur vit.
Je m’étais donc arrêté, pris par mes pensées, quand je remarquai qu’une ampoule électrique suspendue au plafond jetait nuement une lumière plaisante. Et puis l’oiseau noir m’enjoignit d’avancer. Nous franchîmes le seuil d’une herse levée à mi-hauteur, et puis celui d'une porte décorée d’une fresque qui représentait un crocodile céleste, peut-être un dragon, qui versait des larmes sur des crocus jaunes, blancs, et mauves, que surveillaient un singe coiffé d’une émeraude incrustée dans le battant de la porte. Nous suivîmes d’autres passages. Nous vîmes d’autres portes. Nous entrâmes finalement dans un vaste cabinet où l’oiseau déposa ses armes, m’invitant à m’asseoir dans un fauteuil recouvert de maroquin. Le garde demeura debout pour m’offrir du vin de clou qu’il versa dans des gobelets en terre cuite ; un pour lui, et un pour moi. Nous bûmes en silence, mais j’aperçus la langue cendrée de l’oiseau…
C’était un organe fascinant bien que positivement horrible. Pour échapper à son pouvoir hypnotique je reportai mon attention sur la constellation d’objets éparpillés dans la pièce. Je me souviens d’un candélabre qui supportait un pantin contorsionniste, et d’un télescope catoptrique couplé à une caméra vidéo, et d’un rare irrorateur universel, et d’un court canon de bronze reposant sur sa bouche, et d’une flûte de bambou crottée, et d’une vieille idole en bois. C’était une figurine difforme, ceinte d’une cordelette dorée. Elle était retournée à moitié sur elle-même, saisie dans une posture obscène, les hanches lancées devant les épaules, les bras écartés, les lèvres entrouvertes. Une troisième main lui sortait du ventre pour tenir une carte à jouer en carton plastifié, un roi de cœur, et dessus il était écrit que « l’amour » est un jeu de mains. Il y avait aussi une cuve de verre, remplie d’eau fumante, et situés près d’elle, sur une chaise, une belle serviette de bain ornée d’un « L » brodé, et, dans une assiette bleu pâle de faïence, une savonnette qui semblait faite pour moi, mais je n’en sus jamais rien.
Je contemplais tranquillement un collier de force quand Toto poussa à mes pieds un long soupir, et j’osai enfin prier mon hôte de me dire si ma situation était véritablement compliquée comme il me l’avait annoncé en dehors des murs, après que j’eus exprimé mon intention de rencontrer le maître de la ville. « Sachez d’abord que je m’étonne, dit l’oiseau, que vous m’avez suivi sans faire d’esclandre, et que vous buvez maintenant en ma compagnie sans savoir qui je suis, sans connaître mon nom, et sans m’avoir dit le vôtre. Vous comprendrez que vous me paraissez suspect ! – C’est que j’ignore moi-même qui je suis, avouai-je sans une hésitation. – C’est une bonne raison pour vous intéresser aux personnes de votre entourage, plutôt qu’au contenu de leur cabinet, si vous voyez ce que je veux dire, dit l’oiseau. Je suis le capitaine des Gardes ; Lacritsa est mon nom, mais on m’appelle Lacritchnik. Est-ce que vous n’avez-vous pas un passeport ? » Je n’en avais pas, et je le dis. Le capitaine Lacritsa claqua du bec.
L’oiseau pensait qu’il fallait me prêter un nom en attendant qu’on retrouvasse plus tard le mien, et à cette fin il résolut de choisir au hasard un ou deux mots dans une encyclopédie du surréalisme dont la couverture montrait la reproduction d’un tableau de René Magritte : Devant un rideau rouge, sur un plancher de bois, un incroyable objet ressemblant à un bilboquet était « assis » à un improbable piano constitué d’un bouquet herbeux de statices en fleurs, des arméries maritimes aux têtes roses, denses, et arrondies. J’ai lu récemment que cette œuvre peu connue avait porté plusieurs titres : La falaise, Le vertige, La fin de la musique, avant d’en recevoir un dernier : La sapience du printemps.
Ouvrant le livre, le capitaine choisit ces mots : Dada, et marsouin, et puis il me proposa cette combinaison : Marcellin Dada. « Pour un herboriste ambulant comme vous, ça fait chic, » dit Lacritsa. Je n’avais certes aucune raison de le contredire, et je devins ainsi Marcellin Dada. Mon chien et moi formâmes alors ce duo aux noms amusants, Toto et Dada.
Le capitaine m’apprit ensuite qu’il me faudrait un permis d’entrée pour qu’on me laisse entrer en ville, et aussi, ou éventuellement un permis de séjour, si je comptais séjourner en ville plus longtemps que les huit jours accordés par le permis d’entrée. Le permis d’entrée coûtait huit piastres. Le permis de séjour coûtait quatre-vingt piastres ; sa validité était de huit mois. Pour Toto, il suffisait d’obtenir une autorisation spéciale, et de payer pour lui cinq piastres aux quinze mois. Mais je n’avais pas d’argent, et cela empirait ma situation. « Mon cher Dada, » commença l’oiseau me scrutant, « croyez-vous qu’un voyageur démuni comme vous l’êtes puisse obtenir la permission d’entrer chez nous ? Rah! Rah! Rah! Je crains que vous ne puissiez jamais visiter notre ville et ses merveilles, par exemple, la boulangerie Cuivrée, ou la place du Général Steccata, ou notre cathédrale, la magnifique Saint Pango. »
Je proposai de payer mon permis d’entrée en nature, avec une herbe, des graines ou l’une des racines que je transportais dans mon sac. « J’avais oublié votre sac, » dit Lacritsa, « et la taxe qu’il vous faudra payer pour son contenu—et pour le sac lui-même. » J’avais à ma ceinture un long couteau graissé. Je le déposai sur la table en demandant au capitaine combien cela valait. « Rien du tout, puisque je vous le confisque, au nom de la loi, » prononça-t-il. Et voyant cet oiseau parlant se transformer en pie voleuse, je pensai que le mieux était pour moi de quitter simplement ces lieux, mais c’était désormais impossible.
Le capitaine me signifia qu’il m’arrêtait en m’accusant de voyager sans papier, sans argent, en possession d’une arme… et puis j’étais coupable de ne pas garder mon chien en laisse. Je ne croyais pas pourtant que Lacritsa fut sérieux, et c’est pourquoi je lui demandai de me dire franchement ce qu’il espérait de moi. « Est-ce un pot-de-vin que vous me proposez ? » demanda le capitaine. Sa voix de clavecin trahissait une surprenante excitation.
J’opinai carrément des yeux. L’oiseau eut un sourire affreux, qui lui tordait le bec, et puis il me fit cette leçon : « La corruption, c’est un champignon parasite qui pousse à toute vitesse sur le corps naissant d’une révolution n’importe laquelle ; communiste, libéraliste… ces pseudo changements se ressemblent tous entre eux, parce que les systèmes qu’ils mettent en place sont pareillement basés sur des utopies qui présupposent—ou qui prétendent qu’elles présupposent—de la bonne foi généralisée des êtres humains, y compris des personnages les plus influents, ainsi que des individus dont la charge est de protéger la loi et son application la plus stricte. Or comme le disait Diderot, la foi est une adhérence du coeur à la vérité éternelle, et dans le contexte qui nous intéresse, cette vérité est la suivante : On risque la tragédie lorsqu’on triche avec les lois inventées par soi-même et pour soi-même. »
« Personne ou presque n’y croit plus, mais il faut bien y croire, » continua l’oiseau, « il faut que tout le monde croit à cette vérité ; tout le monde y croyait quand la survie immédiate de chacun était en jeu. La corruption est née d’un changement de perception de la nature du danger. Il faut avoir confiance dans le danger. Le marché libre fonctionnerait peut-être s’il était vraiment libre, si les vendeurs de canons—pour ne mentionner que ceux-là—n’exerçaient pas leur pouvoir de corruption sur les responsables éminemment corruptibles des budgets nationaux, et sur la Décision publique. »
L’oiseau claqua de nouveau du bec, et dit : « Il n’y a rien de pire que la corruption ; or ce mal a un frère jumeau. C’est son parfait contraire, mais il est également néfaste. Savez-vous de quoi il s’agit ? – L’excès de zèle ? dis-je avec espoir. – C’est cela, » articula le capitaine Lacritsa, et il me tendit un œillet rouge en papier plié, me disant : « Mon cher Dada, prenez cette fleur, c’est un permis d’entrée ; on la porte obligatoirement sur son chapeau. »
Mais comme je l’ai déjà écrit ailleurs, je n’avais pas de chapeau, et je le dis. L’oiseau afficha encore cette espèce de sourire affreux qui lui tordait le bec, et puis il me dit, « Je vous en prêterai un qui appartenait à Érik Satie, si vous acceptez de remplir un petit service qui me rendrait agréable à une jolie femme—lui porter de ma part un pot de miel de trèfle.»
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[Image: Joyeuse Saint Valentin ! par reading_is_dangerous]
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerCela a l'air de premier choix cette histoire d'oiseaux de fer. Un peu trop longue pour que je la déguste comme il faut aujourd'hui. Je reviendrai.
RépondreSupprimer//Nous bûmes en silence, mais j’aperçus la langue cendrée de l’oiseau…C’était un organe fascinant bien que positivement horrible//
RépondreSupprimerSans lanque, nous ne pourrions pas dire les paroles des mots fous, ni même manger
Je comprends l'hypnotisation du narrateur. Car ayant ses oreilles pour entendre, il aurait dû savoir lire sur les lèvres du garde et cela aurait été horrible de déchiffer le pia-pia d'un oiseau ?
La savonnette pour se débarasser des peaux mortes et une nouvelle peau==>//nous sommes des fleurs, et en tant que telles nous sommes destinées à perdre nos couleurs, mais nos formes mortes nourrissent en pourrissant des manifestations nouvelles, et Phénix renaît, et la Fleur vit.//
//jeu de mains.// jeu de nai(m)ns==> l'amour c'est la vie, et que sommes nous face à la Vie ? des nains
Le Dada m'a aussi fait penser au jeu du Dada, c'est un jeu de société avec des pions cheveaux.
L'oeillet de l'esprit finalement vous aura apporté ce récit, si riche en image à décrypter, et à analyser.
Marcellin Dada, Toto le chien, l'oiseau de fer, une fleur rouge pour entrer dans l'histoire, le chapeau d'Érik Satie et un pot de miel pour une dame inconnue...
RépondreSupprimerChapeau!
Joli mouvement!
Les commentaires, vos commentaires sont mes bras.
RépondreSupprimerMerci!
le ti toto en boule se mit à boyer d'un rugissement calin
RépondreSupprimerben oui sarkophage nous enterrera tous et lui le biteaboutdebouche ( je viens de la trouver celle la !!! ah ah beat about the bush oh oh !!!)) se la joue nosferatue ou dracula ( bon la j'y vais un peu fort question Q ou est que ce serait pas leur coté anal qui ressort , humm , le dard four ( encore !!! ) chine et la pastèque chaude , rien à voir celle la mais faut bien un raté et le caca nada et oui même les facho du pays basque c'est dire ... douce france cher pays de ... allez on se la refait MDR ! ... alez coluche calme ta joie , l'est vraiment temps de migrer !
en haut de mon arbre je vivais heureux j'aurai jamais du ... la la la le quitter des yeux ! pouffff !!!!
t'énerve pas jojo
c'était juste une pinaille à Louve !
Mister RYD,
RépondreSupprimerA cause de vous j'ai failli, en lisant votre texte, me percer la lèvre inférieure avec ma grande canine de gauche.
Votre palpitance est contagieuse.
sorry , j'y ai été un peu fort !
RépondreSupprimerL