mardi 20 mai 2008

JE VOUS PRESENTE LA LUNE




Je vous présente la Lune. Elle sort de chez elle, de derrière la maison, oublieuse du jour, pendant la nuit. C’est minuit passé. Les automobilistes se hâtent. Les petits enfants dorment.

La télévision russe diffuse une discussion au sujet de l’expérience du baiser dans la littérature. La transmission de l’humidité, la chute des corps, le système lunaire : Personne n’y comprend vraiment quoi que ce soit. – Quand une dame baise la main d’un homme, c’est du sérieux, dit l’animateur. – Votre cameraman m’a baisé la main, avant le début de l’émission, dit une jolie jeune fille à qui on a prêté le micro. Elle est rousse, rose, blanche, bleue, et elle ajoute : Mais je n’ai rien senti. – C’est une affirmation typique de nos jeunes actrices, dit une femme plus âgée. – Celles de la nouvelle génération, précise-t-elle.

La Lune est cette chanteuse qui traverse le ciel sans sentiment. Son visage céleste paraît depuis des millions d’années sur la scène de la conscience animale. Les chiens hurlent pour l’accompagner, cependant que les princes s’interrogent. L’un d’eux, peu importe son nom, s’est rendu infâme en épousant une jument. – Je vous présente mon épouse, la Lune, annonça-t-il à la cour rassemblée de la noblesse. Son monde alla se noyer dans l’étang le plus proche.

Je bois du thé vert. Près de ma tasse vide, il y a mon nouveau portefeuille (il est muni d’une chaîne), un appareil photo (Sony cyber-shot DSC-W125) et son étui en cuir, la lettre “v” du clavier de mon ordinateur, brisée, une flashcard (une carte éclair?), cadeau de bienvenue de mon nouvel employeur, Médecins Sans Frontières, un billet d’entrée pour la galerie nationale de l’Arménie, une lampe électrique, un sous-verre en bambou, une télécommande (celle du DVD), une copie des Fleurs du Mal de Baudelaire (ce livre est ouvert à la page 54, et je lis : « Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire? »), une copie de Perfectionnement Espagnol de la méthode Assimil, deux feuilles blanches, vierges, format A4, une copie du Nouveau Testament en arménien, reliée en cuirette sanguine, une Bible en russe, verte, un cahier spirale, un copie du Petit Littré (herboriser : aller dans les champs recueillir des plantes), un dictionnaire français-arménien décoré d’une reproduction d’un tableau de Picasso (une saltimbanque), un vieux téléphone mobile, les poèmes de William Blake (Eternity is in love with the productions of time), un recueil de poésie, Les Poètes du Grand Jeu (Trop longtemps solitaire, l’homme perd sa face - Gilbert-Lecomte), des Poésies de Claudel (Tout un monde intérieur avec un soleil qui marche tout seul...), des nouvelles de O. Henry (“By the deported snakes!” he exclaimed…), des poésies de Nietzsche, (O vieux amis, voyez votre pâle regard…), une copie du Barbare en Asie de Henri Michaud (Naturellement, un éléphant, on ne peut jamais s’y fier) et une publication au sujet de Michaud, du Ministère des Affaires étrangères, (Il [Michaud] désire suspendre toute référence à notre monde, à son histoire, à sa géographie).

Sur ma table, il y a aussi une copie d’Ailleurs, de Michaud, (Un Mage ne doit-il pas en savoir plus qu’un veau?), et La terre nous est étroite de Darwich (Lune après Lune dans la ruelle de l’aimée), et un poème de Jacob Zvi-Sharguel,

Merveilleux
Le soir de blanche et pleine lune,
La voix lactée déborde un horizon de feu,
La piste du désert n’a pas de bornes –
Front contre front

…qui m’a inspiré ce texte, après l’entrée en scène de la lune. J’ai choisi au hasard tous les extraits cités, sauf un.

Sur ma table, il y a encore ce livre, des entretiens avec Rony Brauman (La neutralité n’est pas un principe humanitaire…) et un dictionnaire russe-français de 50 000 mots, la 11e édition stéréotypée, publiée sous la rédaction de l’académicien L. Sherba, à Moscou, en 1983, en collaboration avec Matousevitch, et un dictionnaire arménien-russe, publié à Erevan en 1984… Un vase en bois contient ici des stylos, des crayons, et une baguette de verre terminée par un dromadaire orangé, aux yeux noirs.

Un dromadaire sous la lune
Avalait du feuillage et des livres
Avant de s’en aller, complètement ivre
Arpenter un grand désert nocturne

Faire long, faire court
Mais faire juste.



::: ::: :::

[Image : La comédienne par reading_is_dangerous] (Celle de cette nuit)

3 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  2. J'ai lu ce texte hier, enfin plutôt cette nuit je crois, avant de me coucher. Je me suis sentie bien. J'aime ce texte, j'aime la lune. Quand elle est pleine, je ne trouve pas le sommeil mais je ne la déteste...je n'écris pas sur mon cahier dans ces moments d'insomnie mais dans ma tête. A la lumière de la lune, je visualise mes mots dans mon esprit, les mots des autres aussi. C'est toujours un moment fort pour moi. J'aime vraiment beaucoup ce texte.

    RépondreSupprimer
  3. Citation :

    Petite lampe de terre et d'huile ! le vent de la nuit tourmente ta flamme ; - fenêtre disparue ; simple embrasure de ciel : nuit calme sur les toits ; la lune. (...)
    Ombre du balcon sur le plancher de la chambre, vacillement de la flamme sur la page blanche du livre. Respiration.
    La lune est à présent cachée ; le jardin devant moi semble un bassin de verdure... Sanglots ; lèvres serrées ; convictions trop grandes ; angoisses de la pensée. Que dirai-je ? choses véritables*.- AUTRUI - importance de sa* vie ; lui parler ...

    André GIDE les nourritures terrestres

    * = en italique dans le texte

    Les mots m'ont manqué, j'ai volé ceux d'un autre ...

    RépondreSupprimer