samedi 17 mai 2008

ORAGE DES MOTS





Mille mots par jour, si je pouvais les écrire, j’arriverais quelque part, en un lieu sans plafond, en un lieu où je pourrais dresser ma tente, la tente que j’aurais fait faire pour moi, car je ne saurais pas la confectionner moi-même, la coudre, mais je sais coudre, j’ai appris à coudre par moi-même quand je confectionnais des cerfs-volants, grands cerfs-volants, beaux cerfs-volants qui ne volent plus, parce que je me suis épuisé à les lancer au bout du vent, lequel tirait avec de plus en plus de force, comme pour m’emporter avec lui, pour m’arracher le bras, pour me prendre la force, le muscle, l’os, le nerf, le serpent du bras qui voulait se lover autour de ta taille. Est-ce qu’on confectionne une tente ? Ou est-ce qu’on la fabrique ? Ou est-ce qu’on la fait ? Est-ce qu’on dresse une tente ? Ou est-ce qu’on la monte ? Je me souviens de ces étés de ma jeunesse, quand nous montions la tente dans le jardin, que nous appelions la cour, ce carré de pelouse que nous appelions gazon, derrière la maison que nous appelions « chez nous », quand c’étaient des champs de maïs, trois champs de maïs qui s’étendaient jusqu’à l’horizon, une rangée d’arbres, et depuis ce côté-là ou cette direction ou bien ce ciel, ils nous venaient les orages électriques qui faisaient toujours ma joie, parce que j’aimais le tonnerre et les éclairs, le vent, et avant leur spectacle, l’odeur caractéristique de la pluie qui s’en vient, et la grisaille des nuages, et l’attente, les minutes chargées de questions, l’orage sera-t-il gros, va-t-il durer longtemps, la tente sera-t-elle arrachée, faudra-t-il courir après elle dans les rues du village, mais ce n’était pas vraiment un village, ce ne l’était plus, ce n’est l’est plus, mais ce le fut.

Mille mots par jour, pour décrire des choses vues, des sentiments, des ponts de traversée entre un moment et un autre, des mots rares, des mots tirés du vieux dictionnaire que j’emporterai peut-être avec moi en voyage, ce voyage que je n’ai pas voulu, ce voyage qui me rappelle que je ne suis pas ce voyageur qu’on pense, mais cet homme qui voulait simplement être ailleurs, aller une fois, ailleurs, pour vivre ailleurs, sous un ciel nouveau. Il doit y avoir plusieurs sortes de gens, celles qui veulent rester sur place, d’autres qui aiment bouger, et une troisième sorte qui se déplace une fois ou deux pour aller vivre ailleurs ou à une autre heure, car nous ne pouvons pas tous vivre en même temps, au même endroit, de la même manière, en tout cas nous ne le faisons pas.

Mille mots. Il faut me pardonner ce texte, ces phrases imprécises, incapables de dire ce que j’ai à dire. Des phrases sans effet. Des phrases qui collent à ma pensée. Des phrases qui descendent en cascade depuis la hauteur modeste du plafond pauvre de mes pensées, des phrases qui se jettent en cascade vers le bas, jusqu’en bas de cette page, cette vallée, ce lit, ce delta, ce fond. Je descends. Je diminue : J'arrive à un peu plus de cinq cents mots, en trois paragraphes, écrits en dix minutes. Je prends des notes. « Rester sur place, » ah ! ah ! ah !



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[Image : Hublots des mots, et croix par reading_is_dangerous]

4 commentaires:

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  2. peut être le mot n'est il pas le meilleur l'unique support ... je trouve que certaines toiles, certaines musiques, certaines danses, certains cerfs volants... expriment encore mieux la pensée et le passage du temps
    mais il est
    parfois, par sa puissance, il fige ou pousse ou partage
    comme parfois il ment détruit ou isole


    500 mots qui se lisent d'un trait mais que je résume encore par cet extrait :
    //Mille mots par jour, pour décrire des choses vues, des sentiments, des ponts de traversée entre un moment et un autre, des mots rares, des mots tirés du vieux dictionnaire que j’emporterai peut-être avec moi en voyage, ce voyage que je n’ai pas voulu, ce voyage qui me rappelle que je ne suis pas ce voyageur qu’on pense, mais cet homme qui voulait simplement être ailleurs, aller une fois, ailleurs, pour vivre ailleurs, sous un ciel nouveau.//

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  3. Je n'ai pas un seul mot à enlever de ce que vient,très bien,de dire, notre amie MIJO.

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  4. je devrai venir plus souvent , on se sent rempli après la lecture !

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